Il existe une culture et une éthique communes
aux pays occidentaux, bref une civilisation occidentale. Cette civilisation est
marquée par trois naissances, la première gréco-romaine, inspiratrice d’un
cosmos harmonieux, l’autre spirituelle, l’héritage judéo-chrétien, la dernière
celle des lumières par l'avènement de la raison critique. Elles ont au cours du
temps tissé un socle de valeurs communes et forgé un Nous distinct de l’Autre.
L’Autre, c’est celui dont la différence le situe clairement à la lisière de la
célébration collective du Nous, soit par choix, soit par exclusion.
L’Occident a connu au cours des siècles de
nombreuses vagues de nouveaux venus qui ont fini par s’intégrer dans la trame
générale des pays hôtes. Aujourd’hui, en faisant prévaloir presque partout par
conviction universaliste le droit du sol sur le droit du sang, l’Occident
prétend que l’intégration, pensée comme extension naturelle de la citoyenneté,
est le destin désirable de tout immigrant ; que naître et vivre en Occident est
une opportunité telle pour ces nouveaux venus, qu’ils seront amenés à terme à
privilégier les valeurs publiques communes et la culture du pays d’accueil sur
leur identité première.
A compter des années soixante, on peut
distinguer deux groupes d’immigrants, ceux qui viennent d’un ailleurs musulman
et les autres.
Ce dernier groupe est disparate mais sa
caractéristique marquante, c’est qu’il ne fait pas de vagues ; Combien de gens
savent-ils qu’il y a 500.000 chinois en région parisienne ? (1)
Le groupe musulman, figure emblématique de
l’Autre en Occident, (2) se révèle quant à lui beaucoup plus ardu à intégrer.
Ce texte s’interroge très succinctement sur le
pourquoi de cette difficulté. Les diverses politiques d’intégration, allant d’un
rêve de savoir-être unique jusqu’à la communautarisation ou
multiculturalisation de tous dans le pays hôte, sont-elles des panacées ou des
issues aux lendemains équivoques ?
Un sentiment diffus d’inquiétude parcourt
l’Occident quant à son rapport avec l’islam. L’inquiétude est bien sûr générée
par le traumatisme de la violence terroriste, que ce soit en Angleterre, en
Espagne, en Hollande, en France ou aux Etats-Unis. Mais l’inquiétude surgit
également de façon plus insidieuse suite à des comportements qui choquent,
telles la perdurance de la polygamie de quelques milliers de familles
africaines en France, l’excision de fillettes, les crimes d’honneur, le port du
voile islamique dans des établissements publics, la revendication de groupes
religieux d’établir au Canada des tribunaux islamiques de la famille ayant
force légale, et last but not least
la revendication du droit à la burqa au nom de la liberté religieuse et du
devoir d’accommodement de la société toute entière (3). En même temps,
l’occidental côtoie quotidiennement nombre de musulmans à l’aise dans leurs
activités citoyennes, parfaits reflets de sa propre insertion sociétale. Cette
double pratique, l’une minoritaire et menaçante l’autre majoritaire et
paisible, dessine en toile de fond une image trouble du musulman devenu Dr-Jekill-and-Mr-Hide tout à la fois.
Cette inquiétante étrangeté suscite une
interrogation sourde qui s’exprime en sourdine par rectitude politique, le
musulman veut-il oui ou non s’intégrer ou préfère-t-il maintenir une identité
en rupture manifeste avec certaines valeurs communes du pays d’adoption ? Poser
la question globalement est préjudiciable à l’image des musulmans, mais
l’ambigüité des positions de nombre d’organisations musulmanes face à certaines
pratiques et demandes qui heurtent la sensibilité commune y contribue
massivement.
Un récent sondage mené dans 13 pays par le Pew
Global Attitudes Project (4) auprès des musulmans, indique que 81% des
personnes interviewées au Royaume Uni se considèrent musulman d’abord et britannique
ensuite ; 69% en Espagne, 66% en Allemagne et 46% en France, seul pays
occidental ou une légère majorité des sondés se veulent français avant que
d’être musulmans.
Cette primauté de l’identité musulmane se
transforme en rejet violent de la culture occidentale de la société d’accueil
pour une frange minoritaire mais significative d’immigrés musulmans dont des
enfants de deuxième et troisième générations. Leur aliénation est alimentée
certes par le racisme diffus des pays d’accueil mais elle est surtout nourrie
par une idéologie de la haine à l’égard de l’Occident, véhiculée par nombre de
prédicateurs religieux dans leurs mosquées. Pour ces prédicateurs il faut
résolument refuser le modèle occidental, perçu comme matérialiste, idolâtre,
antithétique de leurs valeurs et identité, et ce au prix s’il le faut d’une
violente cassure avec la société d’accueil. La mise à jour de liens entre des
terroristes apparemment bien intégrés dans leur milieu et des prédicateurs
intégristes tant en Angleterre qu’aux Etats-Unis, témoigne des effets
dévastateurs de l’influence de ceux-ci.
Les raisons et motivations de cette dérive
sont-elles intrinsèques à l’Islam et à son fondement le Coran, ou bien est-ce
tout bonnement le résultat de manipulations enclenchées de longue date par des
États arabes comme l’Arabie saoudite, finançant pour des raisons idéologiques
et de politique intérieure, une multitude d’écoles coraniques, d’imam et de
mosquées extrémistes dans le reste du monde. Encore une fois, poser la
question, c’est y répondre ! Cette dérive est trop importante, trop répandue,
trop profonde, l’enthousiasme d’une multitude de jeunes musulmans occidentaux
pour Oussama Bin Laden comme héro antioccidental en témoignant, pour n’être
qu’un simple effet de manipulation.
Le monde arabe, épicentre de l’Islam souffre
d’un sentiment de déchéance et d’injustice au regard de sa situation
géopolitique dans le monde. Incapable de
se réformer réellement pour entrer de plein pied dans la modernité, ses élites
ont convaincu leurs masses que les causes de ce malheur incombaient entièrement
à un occident manipulé par les juifs et Israël, au moyen de l’alliance
américano-sionniste. L’attentat du 11 septembre 2001 est toujours pour beaucoup
d’arabes, une machination du Mossad, le service secret israélien, arguant
qu’aucun juif ne figure parmi les victimes. Cette conception victimaire de
soi-même a ouvert la voie aux prédicateurs qui préconisent un retour à l’Islam
pur et dur comme unique solution pour retrouver leur grandeur d’antan.
Sans nécessairement adhérer pleinement aux
interprétations rigoristes de l’islam, les communautés musulmanes d’occident
n’ont certainement pas cherché à museler et encore moins à dénoncer les
prédicateurs haineux comme cela fût souligné par quelques personnalités
musulmanes courageuses (5).
L’Occident est devenue une terre d’immigration,
des millions de gens cognent à ses portes ; comment accueillir l’Autre, comment
l’intégrer ? l’Autre est-il soluble à terme dans une culture unitaire comme le
veut la France ? Vise-t-on plutôt une lâche mosaïque des cultures, miroir de
toutes les différences comme le prône le Canada ? Le dynamisme propre à la
culture américaine amène-t-il de lui-même un melting of the mind comme les Vulcans (6) américains le pensent ?
Ces questions ne sont pas seulement théoriques, des réponses qu’on y apporte,
découlent des politiques publiques délibérées, telle la loi sur les signes
religieux dans les écoles publiques en France et la politique du
multiculturalisme au Canada, ou des politiques en creux par absence
d’intervention, telles le benign neglect
à l’égard des communautés ethniques au Royaume-Uni et le melting pot par pression sociétale aux Etats-Unis.
L’Occident s’imagine en société universelle,
offrant à chacun et à chaque communauté, la possibilité de préserver ses
valeurs, ses croyances, ses coutumes et son identité ; mais à quel prix ?
Peut-on imaginer une société capable de tolérer l’expression publique de
multiples valeurs contradictoires ?
Une collectivité universelle telle qu'elle fût
rêvée par les auteurs de la déclaration des droits de l'Homme ne pourrait
l'être, que fondée exclusivement sur et par la raison. Une telle société,
transparente, sans épaisseur, sans mystère, est difficile à concevoir dans la
mesure où le réel social déborde de beaucoup les prescriptions de la raison et
s’inscrit d’abord dans la coutume, l’émotif et l'imaginaire.
En effet, une acceptation réellement
significative et non pas cosmétique des spécificités de chaque groupe ethnique
ou culturel au sein d’un même Etat, entraînerait des contradictions
insupportables ; ainsi le code légal ne peut pas instituer simultanément la
monogamie et la polygamie comme règles communautaires distinctes, gérées par
une même puissance publique. On ne peut pas avoir deux codes civils traitant
différemment des mêmes choses au sein d’une même entité politique exerçant son
autorité sur un territoire géographiquement défini. On aboutirait
immanquablement à une «libanisation» de la société, à terme à son éclatement.
(7)
La réponse de l’Occident, pour concilier
universalité et respect des particularités, c’est bien sûr la séparation de
l’Eglise et de l’Etat. L’une parle du salut de l’âme seulement possible en
conformité avec un vivre-ensemble totalitaire suranné, l’autre de la raison
universelle en marche, reconnaissant et la légitimité d’espaces identitaires
privés, domaine d’expression libre des choix individuels, et l’espace
appartenant à tous, l’espace public doté d’une essence universelle, d’un
savoir-être commun à tous. L’espace public se retrouve être ainsi le seul
porteur des valeurs communes à tous, valeurs chargées de maintenir l’unité et
la cohérence de la collectivité nationale. Ces valeurs communes quoique se
voulant de portée universelle, ne peuvent toutefois émerger que de coutumes
propres à une société historiquement constituée, c'est-à-dire spécifiques à une
identité non universelle. Cette identité particulière va au cours du temps
servir de matrice à l'espace public de cette société, espace public dégagé de
sa gangue religieuse mais dont l’identité originelle est ineffaçable. Les
structures et les codes implicites de fonctionnement de l’espace public d’une
société reflèteront l’éthos du peuple fondateur ou de ses couches dirigeantes –
méritocratie américaine, différentialisme aristocratique anglais, élitisme
égalitaire français - et ne prendra jamais la forme d’une construction purement
rationnelle, synthétique, à l’image de l’esperanto, beau langage universel que
personne n’utilise.
L’ouverture au monde n’implique pas le
renoncement à soi ou sa mise entre parenthèse dans le rapport avec le nouveau
venu ; en fait, le dialogue avec l’autre n’a de sens que si le « je » rappelle
clairement qui il est.
C’est en ignorant plus souvent qu’autrement cet
a priori (8) que la problématique multiculturelle ou communautariste en Europe
émerge dans les années soixante, avec l’arrivée de gros bataillons de
travailleurs musulmans, venus soutenir la machine économique. Il n’y a pas
encore à cette époque de vraie prise de conscience des conséquences que cette
dynamique engendrera lors des décennies suivantes du fait que ce nouvel Autre
venait d’un ailleurs fort différent, principalement tiers-mondiste et musulman,
avec des valeurs qui ne convergeaient pas d’emblée avec celles de l’occident.
Les pays d’Europe occidentale avaient déjà connu des vagues d’immigration
essentiellement de l’est et du sud de l’Europe ; les cultures étaient
différentes mais les valeurs convergeaient. La France fabriquait alors des
petits Français à partir des immigrés grâce à l’école publique obligatoire et
au service militaire. Le cas du Canada est différent, sa politique de
multiculturalisme instituée par le Premier Ministre Trudeau en 1971, (9) visait
principalement à donner à l’Etat fédéral le moyen de peser sur le Québec dans
sa quête identitaire ; La charte des droits et libertés complétait le
processus. Avec l’afflux croissant d’immigrés non occidentaux, la politique
multiculturaliste, voulue pour d’autres raisons, enclenche un processus dont on
commence tout juste à mesurer les effets pervers non prévus. Aux Etats-Unis, la
question de l’immigration se pose en termes totalement distincts ; les
immigrants proviennent majoritairement du monde hispanophone et ces immigrants
prient pour qu’on leur ouvre les portes du rêve américain, tant la force
attractive de ce pays est immense.
En bref, l’Occident dont la culture renvoie
nécessairement à un au-delà d’une pure raison, ne peut ni théoriquement, ni
pratiquement renier son identité spécifique au profit d’un modèle universel
désincarné.
À l’exception notoire de la France, le message
multiculturaliste de l’Occident, adressé au musulman et évidemment aux autres
venus d’un ailleurs différent est sibyllin, il dit à l’immigrant «Vous pouvez
légitimement dans ce pays être vous-même autant que vous le désirerez ; Ce
n’est pas un privilège, c’est votre droit» Or en vérité, le pays hôte ne tolère
ce droit qu’en autant que la différence de l’Autre demeure marginale et
confinée à l’espace privé. Il digère mal que l’espace public lui renvoie une
image qui n’est pas la sienne ; d’autant qu’il faut admettre que ces
différences ne sont pas toutes anodines, la place de la femme dans la société
en est l’exemple le plus visible.
En même temps, il faut dire à la décharge de
l’Autre, qu’attendre qu’il s’intègre, qu’il s’acculture, qu’il adopte des
valeurs et des pratiques en porte-à-faux avec certaines de ses convictions les
plus profondes, c’est demander à l’individu et à sa communauté une
transformation que ceux-ci perçoivent fréquemment comme un abandon identitaire.
L’Autre sait intuitivement que ce que veut la société d’accueil correspond à sa
mort en tant qu'altérité.
Sa survie réside dans un premier temps dans
l'évitement, le repli vers ses groupes d'appartenance, le repli sur le rituel
qui dit le retour du même et dans un deuxième temps passe par des
revendications transformationnelles de la société d’accueil. Tout
naturellement, avec la progression démographique de l’Autre, la revendication
de droits individuels s’accompagne inévitablement de revendication de droits
collectifs, telle la requête en France que certaines piscines publiques
municipales aient des jours réservés aux femmes et d’autres aux hommes ou au
Canada, la demande de tribunaux islamiques de la famille pour accommoder les
sensibilités islamiques et même la requête il y a quelques années au Québec par
un imam, Saïd Jaziri (10), que les instances publiques participent au
financement de la construction d’une grande mosquée à Montréal, espace privé
par excellence.
Les tenants de la « laïcité ouverte »
(11) objecteront que la dichotomie, espace public, espace privé, est dépassée,
qu’il est possible de concilier de multiples cultures au sein d’une nouvelle
convivialité, qu’un nouveau Nous peut advenir comme conjugaison d’identités au
sein de la citoyenneté commune. Mais n’en déplaise aux bonnes âmes, les faits
restent têtus. Pousser l’accommodement de l’Autre au prix du reniement de
soi-même est une invitation au désastre ; le refus par une large fraction
de l’opinion publique de la communauté européenne de l’adhésion de la Turquie à
la communauté européenne sonne comme un avertissement de même que la
progression de mouvements d’extrême droite en Europe témoigne d’une rage
grandissante d’une partie du corps social. Or les faits historiques démontrent
qu’aucune société ne maintient une forte cohésion d’elle-même sans un partage
profond de quelques valeurs fondationnelles (12). Le poète français Valérie nous rappelait déjà
que les civilisations aussi étaient mortelles !
L’une des causes profondes d’une harmonie qui
n’en finit pas de se dérober, tient au fait que les civilisations islamique et
occidentale prétendent toutes deux apporter un message universel au monde
entier. L’une, l’Islam est inconcevable sans sa foi, sans le Coran présenté
comme parole incréée et éternelle de Dieu; dépôt sacré, il est intouchable pour
l’ouma, la communauté des croyants. L’autre, l’occidentale est aujourd’hui
profondément sécularisée, convaincue intimement que la raison et le progrès
sont les deux mamelles de la civilisation, (13) avec pour fondement de son
éthique l’affirmation de la prééminence des droits et libertés de l’Homme.
Du fait de cette divergence irréconciliable en
l’état, l’islam et l’occident ont une conception profondément différente de
l’individu ; l’écrivain égyptien prix Nobel de littérature, Naguib Mahfouz,
décédé récemment, disait "Quand les musulmans admettront que l’homme n’est
pas simplement un individu mais une personne, l’islam disparaîtra…" (14).
Leurs messages sont en compétition et ne
convergent pas sur plusieurs points fondamentaux. Entre le sacré donné une fois
pour toute et la raison pour laquelle rien n’est au-delà de son regard
critique, il n’y a pas d’harmonie possible. Peut-on imaginer une voie de
convergence entre la liberté absolue de l'Homme quant à ses convictions les
plus intimes et la condamnation à mort qui attend celui qui, né dans l'Islam,
renie l'Islam ?
Le discours de l’Occident, prônant la relativité
des cultures et leur égale légitimité est une cause profonde du malentendu ; Il
reflète, soit la certitude intime de l’Occident de sa supériorité et même de
son omnipotence (15) vis-à-vis de l’Autre, soit au contraire une conscience
malheureuse de son passé hégémonique. Cet excès d’hubris ou ce mea culpa peuvent
être sources de cécité quant au fonctionnement réel des dynamiques sociales,
notamment dans le rapport avec l’islam.
Cette situation est à terme lourde de conflits
brutaux. On perçoit aujourd’hui au Canada des changements dans le discours de
certains leaders politiques même au sein du Parti Libéral, pourtant ardent
promoteur s’il en fut du multiculturalisme. Suite à l’arrestation de présumés
terroristes torontois, M. Ujjal Dosandjh, ancien Ministre fédéral de la santé,
lui-même issu d’une communauté ethnique a remis en cause la présente politique
de multiculturalisme ; Mme Fatima Houda-Pépin une députée musulmane à
l’Assemblée Nationale du Québec, osant briser la langue de bois convenue, a
publiquement accusé certaines mosquées d’être des lieux de propagande islamiste
et s’est élevée contre le silence de leaders communautaires parfaitement au
courant du ton et des propos de certains prédicateurs. Même la Gouverneure
générale du Canada, d’origine haïtienne, Mme Michaëlle Jean déclare lors d’une
conférence débat le 4 avril 2005 que la politique officielle de
multiculturalisme mène une forme de getthoïsation des différentes communautés.
La tolérance excessive à l’égard de l’Autre devient source d’un malaise diffus
lorsqu’on apprend qu’au Québec plus de 800 enfants et adolescents sont
scolarisés dans des établissements juifs ultra orthodoxes qui ne respectent
aucune des lois de l’éducation de la Province, sans que les autorités
publiques, bien au fait de cette situation ne fassent rien pour les y
contraindre. Une certaine exaspération se fait jour. Le jugement de la Cour
suprême du Canada sur le port du Kirpan des Sikhs dans les écoles, n’a pas été
bien accepté au Québec au vu de ses conséquences éventuelles. Ce jugement
impose aux établissements publics l’obligation d’accommodement raisonnable à
l’égard des besoins culturels et cultuels des communautés religieuses et
ethniques, obligations dont personne ne sait quelles en seront les conséquences
éventuelles. Il n’est pas impensable que la Cour suprême d’un pays occidental
interdise un jour de critiquer toute figure sainte d’une religion en déclarant
que c’est une restriction raisonnable aux droits et libertés du citoyen au vu
des passions que cela déchaîne (16). Les représentants des 57 pays musulmans
avaient d’ailleurs exigé que la charte des droits de l’Homme de l’ONU soit
amendée pour interdire explicitement tout blasphème ou critique de prophètes et
autres messies, suite à l’affaire des caricatures en Hollande. Cette requête
revenait à demander purement et simplement l’abrogation de la liberté
d’expression, cas extrême d’un profond conflit de valeurs, cas extrême
également de fossé entre les deux cultures quant aux moyens à utiliser pour
régler des désaccords.
Cette cassure dans la vision du monde nous laisse
entrevoir pourquoi par exemple les politiques du laisser-faire britannique et
du multiculturalisme canadien constituent une faute stratégique. Ces politiques
laissent supposer, comme nous l’avons déjà dit, que la société d’accueil
accordera une égale légitimité à des valeurs mutuellement exclusives. La
France, souvent pleutre, a choisi pour son honneur, d’affirmer plus clairement
les limites à ne pas franchir avec la loi sur l’interdiction de signes
religieux ostentatoires, dans les écoles publiques par définition laïques.
Cette initiative avait à l’époque été fortement critiquée par l’opinion
publique britannique et hollandaise, accusant même les législateurs français de
fascisme. Tout est à recommencer aujourd’hui avec la burqa, parce que le
législateur est terrorisé à l’idée qu’on puisse l’accuser de brimer les droits
d’une minorité, oubliant que ces droits ont un versant sociétal et que les
accommodements à la pièce finissent par rendre risibles l’universalité des
droits, au même titre que la présence de l’Iran et de la Libye dans des
organisations de l’ONU chargées de promouvoir les droits universels, revient à
se gausser de ces droits. Au Canada, l’accommodement très permissif à l’égard
des coutumes, des cultures et des spécificités religieuses des différents
groupes ethniques amènent ceux-ci à faire des demandes dont l’issue est une
dynamique d’enfermement communautaire, frein puissant à l’acculturation aux
valeurs publiques communes et à l’esprit des lois de la nation.
Le respect de l’Autre est un devoir moral,
éthique et légal impératif ! Il oblige l’Etat autant que le citoyen. Cela
découle des valeurs fondamentales des démocraties occidentales. Ce respect de
l’Autre n’est pas incompatible toutefois avec l’affirmation que le pays hôte
entend maintenir son identité propre et qu’il n’acceptera pas que ses lois et
règlements soient bafoués ou simplement ignorés. Les changements qu’ils soient
culturels ou légaux sont le lot normal de la vie des nations et des communautés
; L’Autre a le droit de demander que l’espace public du pays reflète aussi ses
spécificités ; mais il doit accepter la règle d’or du pluralisme démocratique :
dans un cadre constitutionnel, la
majorité décide ! Dans un éditorial intitulé « Muslim Myopia » publié dans
le New York Times le 16 août 2006, Ms Irshad Manji, une musulmane canadienne
fellow de l’université Yale et auteure du livre «The trouble with Islam today : A Muslim call for reform in her Faith»
écrit que les élites musulmanes ont la responsabilité d’aider leur communauté à
concilier Islam et Pluralisme dans le respect des lois publiques, ce que la
majorité de ces élites se garde bien de faire.
Les faits peuvent sembler aujourd’hui difficiles
à accepter tant pour les occidentaux à cause de la vague de rectitude politique
qui interdit de nommer certaines choses, que pour les communautés culturelles,
ethniques ou religieuses qui se sont installées en Occident et qui se sentent
pointées du doigt surtout après tant d’attentats qui ont accru la méfiance
générale.
Une note d’optimisme reste de mise malgré tout,
au vu d’autres données du sondage du Pew Global Attitudes Project du 22 juin
2006. Malgré les traumatismes engendrés par les attentats terroristes, une
majorité de musulmans européens ne perçoivent pas d’hostilité à leur égard de
la part des autres Européens. Il faut espérer que L’occident et ses immigrés
musulmans sauront inventer dans les décennies qui viennent un Nous plus
inclusif.
Les femmes musulmanes en seront probablement les
protagonistes les plus essentielles.
Léon Ouaknine
Essayiste.
Révisé le 20 mai 2010
1.
Dr
Esther Benbassa, Directrice d’études, Ecole pratique des hautes études Paris,
conférence prononcée à Montréal le 19 juin 2006.
2.
Hors
les Etats-Unis
3.
Requête
de création de tribunaux islamiques en Ontario heureusement rejetée, malgré la
recommandation favorable de la Commissaire aux droits de la personne de cette
Province ; Cette requête avait suscité l’inquiétude non seulement dans les
autres Provinces du Canada mais également dans d’autres pays occidentaux dont la
France pour l’effet d’entraînement que cela aurait pu provoquer.
4.
The
Great Divide ; How westerners and Muslims view each other, 22 juin 2006.
http//pewglobal.org
5.
La
députée québécoise Fatima Houda-Pepin a courageusement accusé de nombreux
prédicateurs musulmans de ne pas dénoncer suffisamment les crimes commis au nom
de l’islam.
6.
Espèce
extraterrestre dans la série télévisée Star Trek, dotée de capacités
télépathiques pouvant aller jusqu’à la fusion des esprits
7.
Les
Etats binationaux ou multinationaux ne survivent généralement que dans un
carcan rigide ; Dès qu’on relâche le couvercle de la marmite, ça explose :
empire austro-Hongrois, URSS, Yougoslavie, Irak, Russie multinationale. Les cas
de l’Espagne et de la Belgique échappent provisoirement à cette fatalité parce
qu’il y a malgré tout chez leurs différents peuples une communauté de valeurs,
un processus démocratique de reconnaissance des nationalités et également du
fait que l’Europe joue maintenant un rôle important de contenant dans la
promotion des identités régionales.
8.
La
tolérance des gouvernements socialistes français à l’égard des couples
polygames a entraîné un effet de ressac auprès de l’opinion publique.
9.
Trudeau
avait accepté le bilinguisme mais refusé le bi-culturalisme des deux peuples
fondateurs du Canada (Français et Anglais) au prétexte qu’il existait d’autres
communautés culturelles ayant une égale légitimité, telles les premières
Nations, les groupes asiatiques installés sur la côte ouest ou la communauté
ukrainienne plus présente en Saskatchewan. Le véritable motif étant le refus de
donner un statut particulier et égal au Québec en relation avec le ROC (Rest Of
Canada)
10.
Saïd
Jaziri, a officié comme iman de la mosquée Al Quods avant d’être expulsé en
2007 du Canda pour déclarations mensongères.
11.
Charles
Taylor, philosophe, s’est fait le chantre du multiculturalisme canadien ; Il
est professeur de philosophie et science politique à l’Université McGill,
Montréal, Québec.
12.
Les
cas de la Bosnie et de la Serbie ont sont les plus récents exemples.
13.
Certains
courants philosophiques questionnent la prééminence des notions de progrès et
de raison ; celles-ci seraient des croyances aussi peu fondées que les dogmes
religieux.
14.
Pierre-Charles
Aubrit Saint Pol, Rédacteur en chef de la Lettre Catholique. Pour de telles
affirmations, Naguib Mahfouz fût violemment agressé par les islamistes dans son
pays, l’Egypte.
15.
Emmanuel
Todd, le destin des immigrés, Seuil 1994
16.
La
loi interdit dans plusieurs pays dont l’Allemagne et la France de contester la
réalité de l’holocauste durant la deuxième guerre mondiale