Notes pour un débat
On m’a demandé de remplacer au pied levé Guy Boutiller pour animer ce débat sur l’identité, la culture et la religion. J’ai donc préparé quelques questions qui peuvent servir de point d’appui à vos réflexions, et pour les mettre en contexte, je dirais très brièvement quelques mots sur ces trois notions capitales.
L’identité et la culture plus que la religion sont
des dimensions inhérentes à l’être humain ; on peut vivre sans religion,
mais il nous est impossible d’exister sans identité et sans culture.
L’identité, c’est d’abord ce qui fait qu’on est soi
et pas un autre ; la reconnaissance de sa différence demeure l’expérience
centrale, irréductible, primale au sens d’existentielle de l’individu ; on
a tous une carte d’identité dans ses gènes, dans sa tête, et dans ses papiers
pour le prouver. L’identité assumée, c’est-à-dire la connaissance, l’acceptation et
l’affirmation de qui on est, est aussi la condition nécessaire pour être bien dans
sa peau et pour participer au jeu social du « Nous ».
L’identité assumée démarre donc bien avec l’amour de soi et on peut
difficilement imaginer la bonne santé mentale sans une forte dose de
narcissisme. Mais l’identité ce n’est pas seulement un « moi » existant
par lui-même, indépendant, déconnecté des autres. L’identité a d’emblée une
nature double, un versant individuel et un versant collectif. Elle est comme
une pièce de monnaie, inconcevable sans son coté pile, le « Je » et
son coté face, le « Nous ». Il y a là un lien incassable qui relie le
sujet individuel au sujet collectif tant il est vrai qu’au cœur de l’individu,
le « Nous » social forge l’armature du « Moi » comme nous
le rappelle le primatologue Frans de Waal « l’homme
est un animal social jusqu’à la moelle des os »
C’est pourquoi l’identité résulte de l’interaction
de deux processus dynamiques de
construction du moi, un processus psychique et un processus culturel. Croire
qu’on va être soi-même et vivre son identité sans en passer par l’autre est une
illusion.
En un mot, L’identité est une quête de singularité
et simultanément une quête du « Nous » fusionnel, porteur de
l’identité commune.
Pour utiliser une image, je dirais que l’identité,
c’est comme une poupée russe, une série d’identités encastrées l’une dans
l’autre mais contrairement aux poupées russes, aucune de ces identités n’existe
indépendamment des autres, elles s’enveloppent mutuellement. Au plus profond,
le moi ; il résulte d’une série de hasards biologiques, géographiques,
socioculturels, on nait fille ou garçon, grande ou petit, beau ou moche,
intelligent ou idiot, gai ou hétéro ; mais c’est immédiatement aussi ma
famille et très vite, c’est aussi mon milieu, ma tribu, ma religion, ma
culture, ma nation et quelque fois l’Humanité.
Plus on agrandit le cercle identitaire, plus la
définition devient générale et imprécise jusqu’au point où elle ne signifie
presque plus rien.
Ce qui marque le plus la construction identitaire,
ce sont d’abord les expériences vitales, existentielles, concrètes dans l’ici
et le maintenant. Elles sont toujours plus fortes que les constructions
conceptuelles ou idéologiques, parce que celles-ci sont reçues et interprétées
au travers des premiers filtres émotionnels.
L’identité se bâtit donc insensiblement au cours des
âges mais les fondements initiaux sont quasiment inébranlables. On a plusieurs
identités, selon les différents rôles qu’on est amené à jouer dans la vie.
On croit chacune de ces identités fixe et immuable,
c’est faux évidemment, elles offrent heureusement ou malheureusement une
certaine stabilité mais inévitablement elles changent puisque ce sont des
entités vivantes dynamiques et non pas des choses. Certes on est déterminés
mais pas complètement.
La culture et la religion sont quant à elles, deux
des plus importantes facettes du « Nous » mais de même que le
« Je » est incompréhensible sans le « Nous », le
« Nous » lui-même est incompréhensible sans le « Eux »
c’est-à-dire les autres « Nous ».
C’est pourquoi, il n’y a pas de culture sans
frontière avec une autre culture, de même qu’il n’y a pas de nation sans une
autre nation à sa frontière, de même qu’il n’y a pas de religion sans une autre
religion qui viendra contredire sa vérité.
Chaque religion a bien commencé par un acte de refus de son prophète vis-à-vis de la religion précédente.
La culture et la religion sont sœurs en ce sens
qu’elles sont prescriptives de comment il faut vivre sa vie, comment il faut se
conduire comme homme et femme, comment il faut se conduire vis-à-vis de celui
qui fait partie de la même tribu, de la même nation ou de la même communauté si
celle-ci transcende les barrières nationales ou culturelles. En fait ultimement
la religion et la culture prétendent non seulement au contrôle de nos
comportements mais aussi de notre intimité jusqu’à nous dire ce qu’il faut
penser. La religion et la culture nous disent également comment il faut se
comporter vis-à-vis de l’autre, différent par sa nature, sa culture, sa
religion.
La culture et la religion ont toujours voulu dicter
les comportements individuels et communautaires et sont de ce fait souvent
intolérantes vis-à-vis des autres « Nous » et au sein du même
« Nous » intolérantes des conceptions déviantes. Il a fallu
l’avènement dans la culture occidentale des notions de liberté et de droits de
l’Homme, avec l’acceptation du droit à la dissidence, pour que l’être humain
comme individu acquiert un début d’autonomie.
La religion diffère toutefois de la culture, qui
dicte des comportements, en ce qu’elle prétend être seule dépositaire de
l’unique et absolue vérité pour ce qui touche :
1.
Au comment et au pourquoi de l’existence du monde
2.
Au pourquoi du scandale de l’injustice, de la souffrance et de la mort
3.
Au comment bien conduire sa vie dans la quête spirituelle ou plus
largement dans la quête de sens
4. En offrant le
réconfort aux affligés
La plupart des gens adhèrent à ces conceptions et à
ces rôles de la religion et de la culture. Ils y trouvent généralement les
réponses qu’ils cherchent, bien que cela devienne un défi insurmontable dans un
monde devenu interconnecté où toute affirmation est soumise à un féroce examen
critique. Il n’empêche que la grande majorité des gens célèbrent l’Identité, la Religion et la Culture
comme des réalités essentiellement positives, précieuses et indispensables au
bonheur de l’individu et de la communauté.
Pour résumer,
§ L’identité est indispensable
à la bonne santé mentale.
§ La religion apporte le
réconfort et la promesse d’une autre vie.
§ La culture est inhérente à
l’Homme, animal social et hiérarchique, elle exprime ses grandes réalisations artistiques, philosophiques,
morales, scientifiques
Tout n'est pas rose !
§ Alain Malouf, dans son
livre, "les identités meurtrières" se demande « pourquoi faut-il que l’affirmation de soi s’accompagne si
souvent de la négation d’autrui »
§ José Saramago, prix Nobel de
littérature en 1998 a dit ceci des religions
La religion est la plus criminelle des inventions.
Il a été déjà dit que les religions, toutes sans exception, n’ont
jamais servi à rapprocher et réconcilier les hommes, bien au contraire. Elles
ont été et continuent d’être la cause de souffrances indicibles, de carnages,
de violences physiques et spirituelles monstrueuses constituant l’un des plus
ténébreux chapitres de la misérable histoire humaine. Ne serait-ce qu’en signe
de respect pour la vie on devrait avoir le courage de proclamer en toute
circonstance cette vérité évidente et démontrable... L’esprit humain ne manque
pas d’ennemis, mais celui-là (le facteur Dieu) est l’un des plus obstiné et
corrosifs.
§ Il y a dans chaque culture
des choses qui nous révoltent. Qu’on pense au système des castes avec les
intouchables en Inde (plus de 200 millions dont les droits réels sont bafoués
malgré l’abolition des castes) ; qu’on pense à la notion de réincarnation
où l’état présent est la juste rétribution des fautes commises dans une vie
antérieure (anecdote de l’enfant) ; qu’on pense au statut de la femme dans
les sociétés islamistes (fillette de 13 ans, violée et ensuite lapidée en
Somalie sous prétexte d’adultère) ; qu’on pense à la culture occidentale
où le racisme à l’égard des noirs et des anciens colonisés n’en finit pas de
disparaître et en Europe où l’antisémitisme reprend du poil de la bête.
(Pew research Center)
Les choses ne sont donc pas simples. Il y a tant
pour l’identité que la religion ou la culture, une part lumineuse et une part
d’ombre.
Léon Ouaknine
17 novembre
2008