(Réflexions à partir du référendum suisse)
Les faits
Les suisses
ont approuvé à 57.5% le 29 novembre 2009, l’interdiction de construire de
nouveaux minarets en Suisse. Personne ne s’étonnera que le résultat sans
équivoque de ce référendum ait créé un énorme choc ; il a tracé une ligne
de démarcation entre les tenants du refus d’une islamisation rampante de la
Suisse et les hérauts du refus de tout ce qui pourrait apparaître comme
stigmatisant l’islam. La ligne de démarcation traverse la Suisse, elle traverse
aussi chaque pays européen. Sans prendre position sur le résultat du
référendum, celui-ci nous offre une occasion unique de réflexion sur sa
signification pour la Suisse et plus largement pour les pays de l’Union
européenne et même pour l’occident.
Les faits
sont simples, la Suisse permet dans le cadre de sa constitution, l’exercice
limité de démocratie directe au moyen du référendum à initiative
populaire ; il suffit d’une pétition d’au moins 100.000 personnes
provenant d’une majorité de cantons pour que l’État fédéral organise un
référendum national dont l’issue aura valeur constitutionnelle si une double
majorité de la population et des cantons répond favorablement à la question
soumise. La question ici portait sur l’interdiction de la construction de
minarets et non pas sur la liberté religieuse ou la liberté de construire des
mosquées. À peu près toutes les élites politiques et intellectuelles de la
Suisse appelèrent à voter contre la demande d’interdiction en la qualifiant de
honteuse, d’immorale et de contraire aux droits de l’homme ; plusieurs
cantons refusèrent même l’autorisation aux initiateurs du référendum d’apposer leurs
affiches dans leurs lieux publics.
Dès que le
résultat fut connu, il y eut un déchainement de passions pour et contre.
Du coté des
applaudissements, il faut distinguer trois types de réactions : a] La
réaction des partis d’extrême droite ouvertement anti-musulman, accueillant le
vote suisse comme un exemple à émuler en France, en Angleterre, en Italie et
ailleurs. b] La réaction des démocrates et des laïcs qui trouvent inique le
refus islamiste des obligations découlant des chartes des droits et libertés,
au premier chef, la reconnaissance de l’égale dignité de la femme et de
l’homme. c] Enfin, la réaction quasi générale des peuples de l’Union
Européenne, qui jugent inacceptable que le nouveau-venu musulman exige que la
société d’accueil se transforme pour accommoder sa différence et non l’inverse.
Il faut ajouter que les sondages suite à la votation suisse indiquent que face
à la même question, ces peuples européens voteraient dans le même sens que les
suisses.
Du coté de
l’indignation, on doit noter une large vague de protestations de leaders
gouvernementaux des divers pays de l’Union, de la majorité des intellectuels de
gauche, d’organisations internationales comme l’ONU et l’OCI[1], accusant le peuple suisse de racisme,
demandant que le vote soit annulé juridiquement par la cour européenne des
droits de l’homme et exigeant en sus que les suisses revotent. Certains
éditoriaux allant même jusqu’à questionner le principe de démocratie directe
qui donne au peuple un pouvoir exécutif réel, sans passer par les filtres des
processus délibératifs chargés habituellement de tempérer les points de vue
jugés illégitimes ou trop extrêmes au regard des normes civilisées. Le ton
fréquemment hystérique des vitupérations, sous-entendant parfois qu’on
assistait à une préfiguration de nouvelles lois de Nuremberg, laissait croire
qu’on avait soudainement aboli des droits fondamentaux et ouvert la voie à la
chasse aux musulmans. Comme il fallait s’y attendre, les parangons de la
tolérance de l’Autre, de la démocratie et du respect scrupuleux des droits de
l’homme, que sont l’Arabie saoudite, la Lybie[2], l’Egypte, l’Iran, la
Turquie et quelques autres ont menacé directement ou indirectement la Suisse de
graves conséquences[3]
si elle n’annulait pas cette décision. À ce concert, le chef d’orchestre du double
langage islamiste, le suave et très médiatique Tarik Ramadan a pour une fois
exprimé ouvertement son appréhension en déclarant que ce vote était
catastrophique. Bien entendu, presque toute la classe politique bienpensante
européenne a emboité le pas aux admirables démocraties arabes et musulmanes, se
faisant l’écho des ténors habituels de la bienpensance dans leur charge
anti-suisse, tels les Daniel Cohn-Bendit et Bernard Kouchner. Vu la quasi
unanimité des élites politico-médiatiques et de l’intelligentzia dans leurs
charges à l’encontre de la position majoritaire du peuple suisse, on doit
s’interroger : "le peuple
suisse aurait-il commis un acte illégitime par delà sa légalité ?"
Sur quoi se fonde la légitimité de
certaines élites ?
En
démocratie, peu importe la position sociale ou le niveau d’éducation du
citoyen, la règle d’or, "un homme, un vote" proclame que chacun a un
égal droit politique à participer aux décisions qui affectent la cité. Les constitutions codifient ce droit et
assurent également que la majorité ne pourra pas tyranniser la minorité pour ce
qui touche aux droits fondamentaux. Le peuple s’exprime indirectement au
travers de ses représentants (devrais-je dire en dépit des travers de ses
représentants ?) ou au moyen de référendum. Bien qu’en démocratie, il n’y
ait pas d’autre légitimité formelle que celle du peuple, Il existe toutefois un
courant informel de pensée parmi de larges secteurs des élites économiques,
intellectuelles et politiques, laissant entendre, qu’elles seules, de par leur
statut d’élites, sont porteuses de la légitimité réelle, parce qu’elles seules
disposent du savoir et des habiletés nécessaires pour assumer le destin des
nations. C’est à partir de cette conviction susurrée mais interdite de
formulation explicite que les élites imputent au système
de référendum d’initiative populaire un caractère populiste et donc forcément
démagogique, le peuple trop passionnel n’étant pas à même de maitriser la
complexité des choses. Pour ces élites intellectuelles et politico-médiatiques,
le référendum bien que légal est toujours illégitime sauf lorsqu’il vient
conforter leurs choix. L’idée que des élites possèdent une légitimité
intrinsèque n’est pas nécessairement fausse ; la question est de savoir
quelles élites en disposent et lesquelles n’en disposent pas. Précisons
immédiatement que nous entendons ici par élite, les représentants d’un champ
particulier de l’activité humaine, ceux qui par leurs connaissances sont des
experts reconnus, ceux qui parlent avec autorité au nom de la profession qu’ils
exercent, ceux qui disposent d'un pouvoir économique ou financier écrasant, et
ceux qui ont été désignés par leurs pairs ou élus par les citoyens.
Lorsqu’une
élite, n’importe quelle élite s’exprime dans le cadre naturel de son domaine
d’exercice, elle le fait en arguant de sa plus grande expertise ou plus grande
légitimité que son contradicteur. Il est important de bien comprendre ce
mécanisme. Parfois, l’affirmation est objectivement fondée, parfois elle est une
manifestation crue de l’exercice du pouvoir, parfois elle relève du discours
idéologique manipulateur. Nous sommes naturellement amenés à penser qu’en
toutes choses, il y a des gens qui sont plus savants que d’autres dans leurs
spécialités et qu’ils peuvent et doivent indiquer la voie correcte pour
résoudre les problèmes qui surgissent. Lorsque nous sommes malades, nous ne
questionnons pas sérieusement l’idée que le médecin se dise plus qualifié que
nous pour savoir quoi faire pour alléger nos souffrances, de même qu’il ne
viendrait à l’idée de personne que les plans techniques d’un gratte-ciel soient
approuvés par référendum communautaire plutôt que par des architectes et des
ingénieurs. Notre société est complexe et se distingue par l’extrême spécialisation
des tâches et donc des connaissances nécessaires à son fonctionnement. Dans
leurs domaines, les spécialistes, qu’ils soient
médecins ou conducteurs d’autobus parlent avec autorité et leurs avis ne
peuvent être contestés que par leurs pairs. La question fort légitime de savoir
si le spécialiste fera prévaloir ses intérêts personnels ou corporatistes sur
l’intérêt général en manipulant la vérité, trouve sa réponse dans l’existence
de pratiques vérifiables ou dans des connaissances reconnues comme vraies. Ces
professionnels techniques jouissent donc d’une légitimité évidente parce
qu’elle repose sur des bases objectives, par exemple la pratique de la conduite
de gros autobus ou les connaissances scientifiques de la biologie de l’être
humain. Si toutes les activités humaines
reposaient sur des bases objectives et scientifiques, ce serait idéal.
La réalité est plus complexe. Le fait qu’il y ait des disciplines où les
professionnels savent mieux que le commun ce qui est vrai ou ce qui est
nécessaire[4], n’implique pas par
extension qu’il en soit ainsi partout.
Qu'en est-il des élites politiques
et intellectuelles qui font métier de dire le bien et les règles du
vivre-ensemble sociétal ? Sont-elles porteuses d’une doxa dont la légitimité les exempterait du jugement du
peuple ?
Les
politiciens professionnels, spécialistes de la conduite des sociétés,
possèdent-t-ils un savoir objectivement fondé, leur permettant légitimement de
savoir mieux que le peuple ce qui est bon pour le peuple ? Peut-on dire
dans la même veine que les élites intellectuelles qui souvent se présentent
comme les maîtres à penser de toute une génération, voire de deux ou trois,
disposent d’une lucidité hors du commun leur permettant de dire en tout temps
le juste, le bien et le vrai ? La réponse aux deux questions est un
"non" clair et définitif. François Mauriac s’étonnait en 1967, du "sacerdoce"
que s’attribuent les penseurs qui, disait-il, revendiquent "le droit d’enfler la voix au nom de la conscience humaine comme
s’ils en étaient l’incarnation"[5]
Rappelons-nous cette époque encore si proche que décrit la revue chrétienne
"Permanence", "Or, comment
oublier qu’à quelques rares exceptions près, l’establishment intellectuel fut en France complice du
totalitarisme le plus tyrannique que le monde ait connu : le communisme.
Que des intellectuels de grand renom - dont la responsabilité paraît d’autant
plus grande que leur talent était incontestable et leur influence considérable
de par le monde - se firent les apologistes ou les propagandistes zélés de la
barbarie communiste en URSS, en Europe de l’Est, à Cuba, au Vietnam, au
Cambodge... Que certains ont osé nié ou se sont efforcés d’occulter les crimes
dont ils avaient connaissance, que d’autres ont tenté de les justifier et que
le plus grand nombre s’est contenté de se taire en détournant pudiquement le
regard... A tous ceux-là on est tenté de poser la question qu’en 1945 un
procureur chargé de l’épuration lançait à Robert Brasillach (qui fut exécuté
pour ses écrits antisémites et collaborationnistes) : "de combien de
crimes serez-vous le responsable intellectuel ?" "[6].
Aujourd’hui, on est de nouveau en droit d’interpeller l’élite intellectuelle
dans sa complaisance vis-à-vis des fossoyeurs de la liberté de conscience,
lorsque sous couvert d’antiracisme et de refus de l’islamophobie, ils ne
dénoncent pas les horreurs de Durban II ou qu’ils fustigent le vote suisse à
l’instar de Cohn-Bendit. Quant aux élites politiques, elles ont chanté pendant
des décennies auprès des peuples européens, la nécessité absolue de ce que
j’appelle les trois grandes orientations interconnectées que sont,
l’édification de l’Union européenne, la mondialisation (ou libéralisation des
échanges commerciaux et des capitaux) et l’immigration. Légitimes ou pas, ces
trois orientations dont on n’a pas fini de goûter aux conséquences, n’ont
jamais fait l’objet de véritables consultations populaires ou même de sondages,
à l’instar du débat en France qui mena à l’interdiction des signes religieux
ostentatoires dans les écoles publiques. Cette décision qui devint la loi Stasi
recueillit l’adhésion de 85% des français, garantissant de ce fait l’expression
de la volonté nationale plutôt que celle des élites. Ce n’est pas ici le lieu
où juger du bien fondé de ces grandes orientations sur l'Europe, la
mondialisation et l'immigration, mais sans aucune équivoque elles furent
imposées aux peuples par les élites, que les peuples y adhèrent ou pas. Le
processus de la construction européenne est de ce point de vue exemplaire.
Rappelons brièvement qu’en France, la majorité des politiciens de gauche comme
de droite avait invité les citoyens à voter dans le bon sens lors du referendum
sur le Traité
établissant une Constitution pour l'Europe, signé par les chefs d’États le 24 octobre 2004. Le peuple
refusa ! Après les échecs des referendums français et hollandais, une nouvelle
mouture, laissant quasiment intactes les principales dispositions de la
proposition initialement rejetée, refit surface sous la forme du traité de
Lisbonne du 13 décembre 2007. Cette fois, partout où les gouvernements
pouvaient éviter l’obligation référendaire, ils l’ont fait, préférant
l’adoption par leur parlement, pour éviter le verdict du peuple, ce que la
France fit sans honneur. Même David Cameron le leader tory du Royaume Uni qui
avait juré que ce traité ne serait adopté que si le peuple y consentait par
référendum, a trouvé une échappatoire pour se soustraire à ses engagements.
Cette incassable conviction des élites politico-médiatique, qu’elles sont, plus
que le peuple, porteuses de légitimité quant au devenir de l’Europe, trouve sa
plus parfaite expression dans les propos
de Cohn-Bendit et de Kouchner à l’occasion du crime de lèse-bienpensance du
peuple suisse.
Les réactions de Cohn-Bendit et
Bernard Kouchner, exemples emblématiques de la pensée unique des élites
politiques et intellectuelles européennes.
Tout d’abord,
soulignons que ces deux leaders font partie depuis des lustres de
l’intelligentzia européenne et de l’élite politique européenne, car si
Cohn-Bendit, célèbre pour sa participation très médiatisée aux évènements de
mai 68 en France, n’a jamais occupé de fonctions ministérielles, son influence
au titre d’intellectuel et de député européen et chef des verts n’a pas été
absente des calculs politiques des gouvernants de France et d’Allemagne, les
deux poids lourds de l’Europe. Quant à Kouchner, un ancien fondateur de
Médecins sans frontières, ex ministre socialiste et présentement ministre des
affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, son influence politique et médiatique
est grande, non seulement en Europe mais également sur la scène internationale,
ayant été le représentant de l’ONU chargé de gérer le Kosovo jusqu’à
l’accession de celui-ci à l’indépendance. Bref, plus élites intellectuelle et
politique que Cohn-Bendit et Kouchner, on meurt.
Suite à la
votation suisse, Daniel Cohn-Bendit a proféré deux énormités, d’abord en
enjoignant aux Suisses sur un ton péremptoire "qu’ils devaient revoter[7] !"
et en appelant de ses vœux des réactions musclées contre les suisses, "L’Arabie saoudite et les autres
déposants doivent retirer leurs fonds des banques suisses[8]". Le cri du cœur de Cohn-Bendit en dit long sur
son respect pour la démocratie. Le peuple suisse a parlé dans le respect
intégral de sa constitution, mais le résultat déplait, le peuple doit donc
revoter mais cette fois dans le bon sens. Qu’arrivera-t-il si le peuple réitère
ce qu’il a déjà dit ? Le démocrate
Cohn-Bendit a pointé du doigt ce qu’il fallait faire pour empêcher
l’inconcevable ; tout simplement appeler au secours de la bienpensance
européenne, le shérif aux gros muscles financiers, l’Arabie saoudite ! Il
supplie celle-ci de retirer ses fonds des banques suisses. Entendons-nous, il
s’agit bien de l’Arabie saoudite, cet exemple lumineux de démocratie et de
respect des droits de l’homme, qui a récemment condamné à 90 coups de fouet une
jeune fille qui s’était faite violer par plusieurs hommes au motif qu’elle
roulait en voiture avant le viol avec un homme qui n’était ni son père ni son
mari. Il s’agit bien de l’Arabie saoudite dont le même tribunal a accru la
peine de la jeune fille de 90 à 200 coups de fouet parce qu’elle avait eu
l’audace de faire appel de cette décision[9]. Il s’agit bien de
l’Arabie saoudite qui il y a encore quelques années annonçait dans ses sites
internet que le pays était interdit aux juifs. Daniel Cohn-Bendit a méchamment
déraillé et Nicolas Sarkozy, plus astucieux, a trouvé de meilleures formules
pour exprimer l’essence de la bienpensance dans un éditorial publié récemment
dans le journal Le Monde, lorsqu’il
parle de la souffrance réciproque de ceux qui arrivent et de ceux qui accueillent,
comme si celui qui arrive avait un droit naturel à exiger que le pays qui l’accueille se conforme à son
image et à son identité de musulman. Quant à Bernard Kouchner, il déclare être "un peu scandalisé". Le ton
est un peu plus prudent, on le comprend après la raclée publique qu’il a reçue,
lorsqu’il avait fait sa sortie outragée contre la décision des suisses, encore
eux, qui avaient osé arrêter son ami, le cinéaste Roman Polanski pour le viol
d’une petite fille de 13 ans, à ses yeux erreur insignifiante et remontant à
tant d’années ; comme son collègue ministre Fréderic Mitterrand, il
trouvait scandaleux qu’on vienne ainsi importuner un aussi célèbre
créateur !
Comment
interpréter cette votation suisse ? Bien évidemment, au-delà des minarets,
simple prétexte, c’est la constatation de l’insolubilité de l’islam dans la
démocratie et encore plus de son incompatibilité[10] avec la laïcité, qui fait
problème. Mais il y a autre chose, on ne secoue pas impunément des identités
enracinées chez elles depuis des millénaires. Si pour certaines élites l’idée
de nation est nauséabonde, elle demeure pour l’immense majorité des citoyens,
un besoin charnel, car elle est le véhicule premier de l’identité, d’autant
plus nécessaire que la mondialisation vise à transformer le citoyen en simple
consommateur et désavoue de ce fait son besoin d’identification culturel et
identitaire. Nier cette soif identitaire est aussi absurde que de prétendre que
le vivre-ensemble peut s’accommoder de propositions aussi mutuellement exclusives
que la liberté d’expression et l’islam. Mais je ne veux pas caricaturer les
positions des élites, elles ne sont pas toujours et nécessairement
arbitraires ; en fait, elles partent souvent de bons sentiments,
quelquefois honorables et il est important de comprendre ce qui les fonde. A
l’issue de la deuxième guerre mondiale, les leaders politiques et intellectuels
de l’Europe ont voulu l’unification du vieux continent pour empêcher la
répétition des horreurs passées et assurer sa reconstruction rapide. C’était un
objectif louable et pour le réaliser, l’Europe a importer de la main-d’œuvre
provenant majoritairement des anciennes colonies et de la Turquie et ouvert en
grand les vannes de l’immigration sans mesurer l’immensité des effets non
prévus. Or, l’arrivée très rapide de millions d’immigrants musulmans sans un
véritable processus d’intégration respectant l’identité des pays d’accueil
était une véritable folie. Les élites ont procédé parce qu’elles considéraient
que leur consensus ne requéraient pas celui des peuples, et parce que pour
reprendre les termes de Christopher Caldwell, l’auteur de Reflections
on the Revolution in Europe: Immigration, Islam, and the West[11] "Les politiques libérales d’immigration
(européennes) reposaient sur des obligations morales non sujettes au vote". Il eut mieux valu que les peuples votent car
cela aurait probablement permis de ralentir les flux migratoires et faciliter
de ce fait une meilleure intégration. Au-delà de son souverain mépris du
peuple, l’élite a montré un tel déficit d’intelligence quant aux conséquences à
long terme de ses actions, que l’idée d’une quelconque prétention à savoir
mieux que le peuple ce qui est bon pour le peuple, en devient risible. Malraux
écrivait déjà le 3 juin1956, les lignes prémonitoires[12] suivantes "C’est le grand phénomène de notre
époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de
nos contemporains, cette montée de l’islam est analogiquement comparable aux
débuts du communisme du temps de Lénine. Les conséquences de ce phénomène sont
encore imprévisibles. A l’origine de la révolution marxiste, on croyait pouvoir
endiguer le courant par des solutions partielles. Ni le christianisme, ni les
organisations patronales ou ouvrières n’ont trouvé la réponse. De même
aujourd’hui, le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le
problème de l’islam"
Aux sources de la bienpensance.
Il reste à
expliquer le divorce de perceptions quant au ressenti identitaire entre les
peuples et leurs élites politiques et intellectuelles. Bien sûr le décalage
entre les élites et le vulgum pecus
est constitutif de toutes les sociétés humaines mais les démocraties ont toutes
affirmé qu’au moins sur le plan politique, ce divorce là avait été aboli. Il
n’en est rien, des forces puissantes maintiennent et reproduisent
continuellement le clivage entre ceux qui manipulent le gouvernail sociétal et
les autres. J'en citerais ici quatre facteurs convergents :
- Le besoin idéologique de prendre en compte la déviance, et dans un
souci apparemment scientifique de l’expliquer. La déviance individuelle
est d’abord perçue comme criminelle, reflétant une dépravation
individuelle, avant dans un souci moralement louable, de devenir peu à peu
un état résultant de conditions sociétales hors de la responsabilité
individuelle. C’est le fameux "Tout
comprendre, c’est tout expliquer" qui amènera inéluctablement à
tout excuser, même l’inexcusable. C’est la porte ouverte au démon du bien.
Cette compassion vis-à-vis de l'individu va vite se transformer en
compassion vis-à-vis de groupes entiers, de communautés et même
d'idéologies
- Les nouvelles tables de la loi de la bienpensance des élites. La conscience
malheureuse de l’occident a migré de la culpabilité vers le relativisme
culturel, nous menant au cul de sac du multiculturalisme dans lequel nous
pataugeons aujourd'hui. Racisme inversé, qui, par exemple, fait rendre
acceptables les horreurs commises au nom de l’islam mais inacceptable la
détermination israélienne[13]
à continuer d’exister. Tolérance molle qui accepte tout et n’importe quoi[14].
Accusation de racisme à l’encontre de ceux qui en France, en Allemagne, en
Belgique, en Hollande, au Danemark et ailleurs, réclament que la laïcité
réoccupe les territoires perdus, etc.
- Les élites ne vivent pas dans le même monde que le commun. Elles
vivent dans une bulle bien protégée, celle des beaux quartiers, elles vont
de think-tank en chargé de
mission ministérielle, de conférences en colloques internationaux,
heureuses de se penser porteuses de l’universel, alors qu’elles ne portent
que leurs intérêts particuliers, elles circulent en voiture, pas en métro,
elles ne subissent jamais les agressions verbales et pires auxquelles
s’exposent dans les cités de banlieue, les jeunes filles musulmanes qui
refusent de se voiler.
- La nécessité de faire illusion quant à la gestion sociètale. La
substance du pouvoir a échappé aux élites politiques, intellectuelles et
médiatiques depuis plus de vingt ans avec la libéralisation des
échanges ; les règles du jeu ont changé au point que les parlements
nationaux consacrent 80% de leur
temps à adapter les lois nationales aux contraintes imposées par Bruxelles
ou par l’OMC. Les élites ne peuvent plus grand chose pour empêcher les
durs effets de la mondialisation sur les couches les plus exposées de
leurs sociétés nationales. L’avouer est difficile car ce serait remettre
en question la base du contrat politique entre gouvernants et gouvernés.
Alors je
demande : à quoi sert d’élire des élites incapables d’honorer leurs promesses.
L’impuissance de celles-ci à agir sur ce qui compte, les oblige à débattre de
tout autre chose que des vrais enjeux; cela passe par l langue de bois ou le double talk que Georges Orwell a
admirablement décrit dans son chef d'œuvre "1984".
L’indécrottable
conviction des élites politiques d’avoir toujours raison contre la vox populi les conduit évidemment à un
refus de démocratie ; elles préparent ainsi le lit où l’Europe va devoir
se coucher. L’avenir s’annonce sombre, car comme le dit avec justesse Ross Douthat[15], un éditorialiste du New
York Times "du fait de la folie de
ses leaders, qui ont décidé de tout sans consulter leurs concitoyens,
l’Europe a raison d’avoir peur et ce pour encore de longues années"
Léon
Ouaknine
Essayiste,
Membre du Conseil Interculturel de Montréal
12 décembre
2009
[1] Organisation de la
Conférence Islamique regroupant les 57 pays musulmans de la planète.
[2] Le dictateur libyen,
Kadhafi a même récemment demandé à ce que la Suisse soit dissoute, suite à
l’arrestation de son fils pour coups et blessures infligés à ses
domestiques.
[3] La Suisse a renforcé
la protection de ses ambassades et consulats dans tous les pays musulmans,
craignant une répétition de l’hystérie qui suivit la publication des
caricatures danoises.
[4] Ce qui ne veut pas
dire par exemple que face à l’expertise du médecin, un patient n’ait pas le
droit de refuser un traitement pour des raisons qui ne regardent que lui. La
décision du patient doit être respectée même si la prescription du médecin est
objectivement fondée quant à son objectif vis-à-vis de la maladie.
[6] Extrait de la revue
Permanences N°301
[7] Letemps.ch 2 décembre
2009
[8] idem
[9] Devant les réactions
internationales, le roi d’Arabie saoudite avait suspendu les coups de fouet.
[10]
Le 10 janvier 2008, quatre cents organisations musulmanes ont adopté
une charte islamique européenne qui précise, entre autres : « Lorsque les lois en vigueur s’opposent aux
pratiques et règles islamiques, les musulmans sont en droit de s’adresser aux
autorités pour expliquer leurs points de vue et exprimer leurs besoins. »
Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire, sinon annoncer des demandes de
dérogation à la loi publique et pourquoi pas la désobéissance civile pouvant
mener aux fatwas terroristes.
[11] «That liberal immigration
policies “involve the sort of nonnegotiable moral duties that you don’t vote
on.” Christopher Caldewell. Reflections on the
Revolution in Europe: Immigration, Islam, and the West.
New York, Doubleday,
2009
[12] André Malraux, 3
juin 1956, dans Dossier : Un siècle religieux, paru dans Valeurs Actuelles n° 3395
[13] Ce qui n’excuse
absolument pas la politique vis-à-vis des territoires occupés du gouvernement
israélien
[14] La polygamie
musulmane est devenue un problème en Suède, les mosquées radicales sont
florissantes en Grande Bretagne, certains lieux publics en France sont
littéralement annexés pour des prières communautaires le vendredi, avec
barrières érigées pour bloquer la circulation, etc.
[15] New York Times, 7
décembre 2009
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