En décembre 1991
l’URSS est abolie, c’est la fin du système soviétique et la fin officielle du
rêve socialiste qui avait inspiré tant de militants et d’intellectuels dans le
monde entier. Certes, le régime chinois officiellement socialiste perdure mais
tout le monde sait que ce régime est une pure dictature actant un capitalisme
national d’une férocité digne du 19ème siècle. En tant que spectacle
"socialiste", ce n’est même plus une tragédie mais une farce.
Plus personne ne
croit que le fondement pratique d’une société juste passe par la propriété
collective des moyens de production. Même en 2008 au cœur du cyclone engendré
par la financiarisation débridée du système économique, même au vu des
incommensurables dégâts humains qu’il a entrainés, et malgré l’effrontée
socialisation des pertes des géants financiers, aucun grand intellectuel de
gauche ne s’est levé pour dire qu’il fallait abolir le système capitaliste.
Au consensus de
Washington sur le capitalisme indépassable avec pour corolaire l’inévitabilité
de la mondialisation pilotée par une nouvelle classe d'hyper riches, les
intellectuels déçus du socialisme n’offrent depuis belle lurette comme
alternative qu’une proposition d’humanisation du capitalisme. Si le rêve d’une
transformation radicale de l’existence de l’homme relevait de l’utopie, du
moins pouvait-on imaginer une société dont les inégalités, s’il était
impossible qu’elles soient complètement abolies, pouvaient du moins être amorties.
Le rôle du politique serait en clair de réguler les excès du capitalisme et
d’aider l’individu à s’adapter aux grands changements globaux faute de pouvoir
les piloter. Il y avait une suite au rêve, même si c’était une suite mineure.
Cet espoir d’un capitalisme de collaboration, a été porté par une
coalition de fait entre centre droit et centre gauche dans des pays comme la
France et le Canada, jusqu’à ce que les politiques de la Communauté Européenne
et de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) défassent peu à peu cette
aspiration. C’est le leader travailliste Tony Blair lui-même qui mit
brutalement les choses au clair, « Il
n'y a pas de politique économique de droite ou de gauche, il y a des politiques
économiques qui marchent et d'autres qui ne marchent pas » Blair, 2002. Inutile de rappeler que les gauches blairiste, mitterrandienne
et schroderienne ont non seulement composé avec le capitalisme mais lui ont naturellement
servi de courroie de transmission efficace dans son processus d’édification de
la World Corporation, le premier
ministre Jospin ayant plus privatisé que tout autre dirigeant français. Aucun
tour de passe-passe intellectuel ne peut aujourd’hui cacher le constat que
l’aire d’exercice du politique est devenu le simple cache-sexe de l’économique,
malgré les contorsions des politiciens et les imprécations de la gauche.
Chaque époque s’invente un diable à sa mesure, s’il s’avère
invincible, alors c’est une force de la nature comme la gravitation et non plus
une force malveillante ; c’est pourquoi faute d’imagination ou du fait
d'une nature humaine portée à la résignation, le capitalisme est passé du
statut de diable à combattre à celui de force naturelle, les dirigeants de la
gauche qui gouverne l’ont reconnu partout. Pour la gauche qui rêvait en croyant
penser, c’est la faillite. Tous ses grands modèles conceptuels et historiques
se sont écroulés. Ses discours sonnent creux, elle n’a plus de vraie
proposition à offrir. Un tel effondrement ne va pas
sans conséquences pour la caste des intellectuels dits progressistes[1].
Lorsqu’un rêve dont on a été nourri toute sa vie se délite totalement, on peut
soit accepter la dure réalité, soit s’évader. Pour beaucoup d’intellectuels,
l’évasion eut lieu vers un ailleurs fantasmagorique à la Don Quichotte, un
ailleurs de justice et de noblesse de cœur. Puisque l’ancienne victime, la
classe ouvrière, s’éclipse lentement sans avoir jugé bon de terrasser le
capitalisme, la gauche donquichottesque a choisi dès 1983 des diables moins
formidables et élu d’autres victimes pour assouvir son besoin de justice. Cette
gauche, c’est la galaxie de tous les groupuscules revendicateurs, les
sans-papiers, les immigrants en mal de discrimination, les racisés, les
écologistes, les altermondialistes, les féministes embrigadées dans les SJW[2],
ceux questionnant les genres, et évidemment la pièce de résistance, l’éléphant dans le salon, l’islam politique, la seule
puissamment structurée et financée avec des buts précis et camouflés. La
communauté des organisations de défense des droits de l’homme offrant un
immense parapluie de légitimation au nom de la morale à cette immense mouvance.
Chacun de ces groupes, engagé dans une lutte contre
une domination spécifique au nom de sa différence, d’ailleurs la
caractéristique de cette gauche diversitaire est moins de réclamer la pleine
égalité de droits que de réclamer un aménagement de sa différence tout en
déboulonnant la forme d’autorité qu’elle conteste. À cet assemblage hétérodoxe,
s’ajoutent les intellectuels, sans eux, les protestations et
contestations demeureraient plus ou moins inarticulées, donc peu audibles, peu
efficaces, leur le rôle est de légitimer par la parole ces nouveaux damnés de
la terre, en instituant la doxa du politiquement correct.
Les media agissent comme haut-parleurs, soutenus, puisque c’est bcbg par de
nombreux artistes et vedettes de cinéma. Bref beaucoup de gens influents sont à
la manœuvre pour former et influencer l’opinion publique. C’est tout cela dont la
gauche diversitaire est le nom. Cette aspiration à la sainteté a fait de cette
gauche un monument d’inconscience, voire d’hypocrisie, au point qu’elle en est
devenue l’alliée objective de la nébuleuse islamo-fasciste et l’idiot utile du
lent étouffement des principes de laïcité au nom des accommodements raisonnables !
Mais examinons
tout d’abord les composantes clés de ce qui constitue le fonds de commerce de
cette gauche là, avant de formuler quelques hypothèses sur les raisons de cette
dérive.
La repentance postcoloniale
Cette gauche là
aime aujourd’hui la repentance, ça n’a pas toujours été le cas. Alors que les
anciens marxistes n’avaient pas vraiment mauvaise conscience vis-à-vis du passé
colonial de leurs pays, puisqu’ils attribuaient cette prédation à la nature
intrinsèque du capitalisme, donc à un processus historique amoral par
définition, la gauche compassionnelle, faute d’aucune emprise efficace sur le
réel, se complaît dans la repentance, un espace que la droite ne revendique
pas. Cette gauche a certes raison de prendre parti pour ceux qui n’ont pas de
voix, mais sa repentance postcoloniale a pour effet d’appeler à une tolérance
excessive vis-à-vis des refus de respecter la loi commune ou même de gangstérisation de certains quartiers
sensibles[3],
lorsqu’ils sont commis par des personnes dont les ascendants sont originaires
des anciennes colonies ou tout simplement musulmans. Cette tolérance va jusqu’à
réprouver tout discours critique sur ces sujets, car on commettrait alors le
crime impardonnable de "blâmer la victime".
L’élection de deux "victimes
fétiches" : l’immigrant de préférence musulman avec ou sans papier,
ainsi que le palestinien
Tout autant que les
gouvernements de droite, la gauche mitterrandienne a géré les politiques
d’immigration sans inviter l’électorat à donner son avis, parce qu’elles
considéraient que leur consensus ne requéraient pas celui des peuples, et parce
que pour reprendre les termes de Christopher Caldwell[4],
un chercheur américain « Les politiques
libérales d’immigration reposaient sur des obligations morales non sujettes au
vote ». Ceci expliquerait pourquoi la
gauche compassionnelle, devenue la gauche « redresseuse de torts » ne
s’intéresse principalement qu’à deux groupes, l’un intérieur - l’immigrant,
réfugié ou pas, avec ou sans papiers, en butte aux tracasseries administratives
des appareils gouvernementaux – l’autre extérieur, le palestinien, le
petit David face au Goliath israélien, pour des raisons que nous détaillerons
plus tard. Ces deux groupes ont été consacrés « victimes exemplaires, victimes
expiatoires » requérant les soins les plus attentifs de la gauche
bienpensante.
Le problème n’est pas
de prendre parti pour des victimes, c’est même une obligation morale, le
problème c’est que l’attention disproportionnée accordée à ces victimes là aux
détriments de victimes réelles beaucoup plus à risque est suspecte. En ce qui touche à la première victime, Mme Michèle
Tribalat[5], chercheure démographe
à l’INED déclare au sujet de la gauche "les
partis sociaux-démocrates ont changé de clientèle. Ce n’est plus le petit ouvrier
blanc qui les intéresse, c’est le peuple martyr. La grande cause aujourd’hui,
c’est la cause des sans-papiers. C’est une transformation incroyable. Ce n’est
pas le peuple d’ici qui intéresse la gauche, c’est celui qui vient
d’ailleurs". À ce peuple venu d'ailleurs, principalement musulman[6], échoit une très
lourde responsabilité, celle d'assumer aux yeux de la gauche "redresseuse
de torts", le destin messianique que la classe ouvrière a délaissé. Pour cette gauche moralisante,
tout immigrant ou sans-papier issu du tiers-monde, disposera automatiquement
d’un crédit de sympathie au titre de "réparation" des torts commis
contre ses ancêtres. Ceci aura des conséquences importantes non seulement quant
à la gestion des politiques d’immigration[7],
mais également quant à la possibilité de procéder à des études scientifiques
sérieuses sur ces problématiques – on
n’enquête d’ailleurs que sur les discriminations[8] subies par les immigrants et non sur leurs
comportements lorsque ceux-ci heurtent fortement les valeurs premières[9]
de la société d’accueil. La doxa interdit qu’une supposée « victime »
puisse être retors et être oppresseur elle-même. La gauche compassionnelle a
réussi ainsi à empêcher jusqu’à ce jour tout débat public sur les inconvénients
de l’immigration, au nom de la morale, confortée en cela par un patronat
trop heureux de disposer d’un moyen de pression supplémentaire sur les salaires.
Ce refus de la gauche de nommer les choses laisse malheureusement
l’extrême-droite occuper avantageusement le terrain de la contestation des
credo officiels. La réflexion critique et même le bon sens élémentaire font
souvent défaut chez nombre d’idéologues de la bienpensance comme en témoigne la
prise de position ahurissante du cinéaste Philippe Lioret, le réalisateur en 2009
du film larmoyant "Welcome", lorsqu’il
déclara dans une interview radiophonique qu'un milliard de personnes, pas un
million mais un milliard, chercheront à immigrer en occident dans les
décennies à venir et qu’il faudra bien un jour les accueillir par
devoir humanitaire ! Même le moraliste
le plus absolu devrait être astreint à un niveau minimal de réalisme. On est
loin du temps où le secrétaire du parti communiste Georges Marchais déclarait
en 1981, au nom de la défense des conditions de vie du petit peuple français "la poursuite de l'immigration pose aujourd'hui de graves
problèmes. Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures
indispensables. La cote d'alerte est atteinte. C'est pourquoi nous disons ‘il
faut arrêter l'immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au
chômage. Je précise bien : il faut stopper l'immigration officielle et
clandestine’. Les charges d'aide sociale nécessaires pour les familles
immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les
budgets des communes". Pour la gauche compassionnelle, ce type de
discours est à ranger dans le placard des tirades racistes et chauvinistes,
probablement parce que les porte-parole de la gauche compassionnelle ne vivent
pas en général les affres du chômage ; on n’est pas membre de la gauche
caviar pour rien !
Quant au palestinien, victime extérieure, victime exemplaire,
aucun autre blessé de l’histoire n’obtient aujourd’hui le dixième de la
couverture médiatique qui lui est consacrée. Quelques exemples. Les tibétains
ont vu leur pays militairement confisqué par la Chine, l’implantation de
chinois Han est tellement avancée que les tibétains sont devenus une minorité à
Lhassa et bientôt au Tibet après avoir été dépossédé des autres territoires du
Tibet historique, Sichuan, Gansu, Qinghai. La secte Ahmadiya de mouvance islamique s’est vu interdire de pratiquer
ouvertement sa foi en Indonésie sous prétexte d’hérésie, tandis qu’à Mindanao une
province à majorité musulmane dans un pays massivement chrétien, les
Philippines, des mouvements islamistes extrémistes
se sont développés peu à peu; ils revendiquent une islamisation totale du droit
et mènent des actions de terrorisme à l’encontre de la minorité chrétienne de
cette province. 120.000 morts en dix ans rien qu’à Mindanao est l’horrible
bilan de cette guerre, hélas presque silencieuse. Les musulmans Rohingyas
subissent un effroyable nettoyage ethnique de la part des bouddhistes en
Birmanie, mais presque personne n’en parle. Les tchétchènes ont connu aux mains des russes des massacres
immenses relativement à leur nombre. Les coptes chrétiens qui comptent entre 6
à 10% de la population égyptienne sont en butte à des attaques quasi incessantes,
leurs églises fréquemment
incendiées, les chrétiens d’Irak qui étaient 1 million en 1980, ne sont plus
que 200,000 et le temps est proche où il n’y en aura plus. Les 850.000 juifs
des pays arabes sont tous partis ; l’une des dernières expulsions en 1969
par Kadhafi fut celle des 38.000 juifs qui y demeuraient encore, ils furent
contraints de partir manu militari sans avoir pu emporter le moindre bien. On
critique à juste titre les expulsions abusives de palestiniens dont on
confisque les champs; pourquoi ne jamais faire de parallèle avec ce que firent
Kadhafi, Nasser et autres dictateurs à l'égard des Juifs qui vivaient dans ces
pays plus de mille ans avant que l'islam ne vienne les conquérir. La
liste de ces exactions monstrueuses pourrait se continuer jusqu'à la nausée.
Face à ces comportements et
violations massives des droits de l’homme, y a-t-il eu de la part de la gauche
compassionnelle et de ses media, un déchaînement de protestations outragées
contre la Chine, contre la Russie, contre la Birmanie, contre l’Arabie
saoudite, contre l’Indonésie, contre l’Égypte, contre les pays arabes
expulseurs de juifs, contre les islamistes de Mindanao ? Non, quelques
protestations sans plus. Comme Joseph
Facal, ancien ministre, sociologue et professeur aux HEC de Montréal le note
avec des chiffres macabres[10],
"La guerre qui a fait rage
au Congo entre 1998 et 2003 aurait fait autour de 4 millions de victimes. Elle
a fait l'objet de 56 motions en bonne et due forme dans les diverses instances
onusiennes. La guerre civile au Soudan depuis 1983 a fait périr environ 1,3
million de personnes, mais elle n'a suscité que 14 motions à l'ONU… Le conflit
israélo-palestinien, lui, aurait fait environ 9000 et 10.000 morts entre 2000
et aujourd'hui. Mais, Israël, qui est à l'ordre du jour de toutes les réunions
du conseil de sécurité de l'ONU, a été l'objet de 249 motions de condamnation à
l'ONU ! N'y a-t-il pas là une scandaleuse disproportion ?"
Le
choix du relativisme culturel
La gauche compassionnelle a
fait le choix du relativisme culturel. Suite aux horreurs de la Shoah, un
sentiment naturel de défiance à l’égard d’une conception hiérarchisée des races
et des cultures a remis fortement en question l’idée que la civilisation
occidentale serait plus morale et plus porteuse de justice que les autres.
Respecter la différence de « l’Autre » devient pour nombre
d’intellectuels un devoir moral et remet en question la conception universaliste
de l’occident quant aux droits et libertés[11],
au motif que cet universalisme n’en serait pas vraiment un mais serait simplement
un mode « culturel » au même titre que les autres, ni supérieur ni
inférieur. Le grand théoricien de la philosophie de « l’égalité dans la
différence » est le philosophe politologue canadien Charles Taylor. Selon
lui, certains groupes ne peuvent pas prétendre à la plénitude des droits
reconnus dans les diverses chartes des droits universels, à cause de leur
statut de minoritaire, qui entraîne fréquemment de la discrimination à leur
égard. La nécessité de maintenir leur « authenticité » requiert alors
pour ces minoritaires, qu’ils soient du pays ou immigrants, des exceptions aux
lois générales, sinon cela correspondrait de facto à une impossibilité pour eux
d’exercer des droits reconnus à tous. Cette conception philosophique nourrit
idéologiquement et politiquement les divers multiculturalismes ; Cette
vision est au fondement du cadre juridique de la notion d’accommodement
raisonnable au Canada. Celle-ci postule qu’il suffit qu’un individu ait une
croyance sincère (conviction de conscience) pour qu’une pratique qui est
indispensable à son bien-être spirituel, requière automatiquement un
accommodement raisonnable des institutions publiques ou privées, sauf à prouver
que sa mise en œuvre crée des contraintes exagérées. La contestation de ce
droit extrême à la différence au sein de
l’espace public – par exemple les prières communautaires dans les rues - est
qualifiée quasi automatiquement d’intolérance pour ne pas dire de racisme par
les chantres de la bienpensance. Au fil des ans, on a transformé des droits-liberté
en droits-créance.
Bâillonner
la parole contestataire au moyen de l’omerta et du judiciaire
Les
diverses chartes des droits et libertés ont été un acquis immense et
irremplaçable en énonçant au plan philosophique des droits universels, valables
en tous lieux et en tout temps. Elles sont dans les pays démocratiques le socle
des valeurs fondamentales sans lesquelles il ne saurait y avoir de vivre-ensemble
apaisé. Lorsqu’un conflit de droits survient, des instances judiciaires
spécialisées tranchent avec autorité, jusque parfois en appel au niveau
international avec par exemple pour l’Europe, la Cour Européenne des Droits de
l’Homme. L’ensemble des droits et libertés sont interdépendants et non
hiérarchisés. Ils fondent idéalement dans des pays comme la France ou le Canada
une citoyenneté basée sur un contrat civique qui transcende les différences
ethniques, religieuses et culturelles. Un citoyen récent ne l’est pas moins
qu’un citoyen pouvant retracer jusqu’au fond des âges son enracinement sur ce
sol. Pourtant dans la réalité concrète, chaque individu se réfère inévitablement
à une culture et des valeurs provenant du milieu qui l’a façonné. Il y a donc toujours
dans tout pays d’accueil une culture majoritaire et des cultures minoritaires
principalement celles des nouveaux-venus[12]. Dans
les pays de tradition démocratique et républicaine, l’attachement à la laïcité
de l’espace public est une des valeurs premières. Lorsque les valeurs et les
comportements des nouveaux-venus entre en conflit avec ceux du pays dans
l’espace public, un état de tension se crée sous la forme d’un choc de cultures[13].
Les organismes de défense des droits plaident généralement en faveur d’une
interprétation souple des lois au profit des minoritaires – perçus
inévitablement comme victimes - en opposition à ceux qui défendent une stricte
lecture des textes, que ce soit sur la laïcité, la liberté d’expression,
l’égalité homme/femme, l’exercice du culte, etc. Ces conflits sont des conflits
de culture et de valeurs, des conflits dangereux[14]
car on ne peut pas impunément malmener les valeurs premières. Malheureusement
de façon générale les organismes de défense des droits, comme la HALDE et la
LICRA en France et la CDPDJ au Québec cherchent à imposer une nouvelle lecture des
droits fondamentaux, qui a pour effet de restreindre la liberté d’expression et
le principe de laïcité, au nom du respect de la différence. Cette
judiciarisation[15] du politiquement incorrect
a pour objet d’élargir sans cesse le champ des précédents légaux permettant
l’exemption aux obligations publiques usuelles. Cette stratégie d’exemptions par le secours des tribunaux
crée de facto un droit communautaire, inspirée du "Common Law" anglais mais non conforme à la tradition
française ou québécoise. Ce grignotage
du territoire public par le communautarisme reçoit un appui constant de la
gauche redresseuse de torts, qui joue les idiots utiles face à une stratégie
bien huilée. Lorsque les demandes deviennent par trop embarrassantes[16]
pour être défendues publiquement, alors la gauche compassionnelle maintient un
silence assourdissant, confirmant au peuple
d’ici pour reprendre l’expression de Mme Tribalat, que la gauche est
indifférente à ses inquiétudes. Nous en avons un exemple quasiment caricatural
avec le silence de la gauche toute entière face aux prières musulmanes dans
plusieurs rues de grandes villes françaises chaque vendredi. Les rues sont
bloquées sans aucune autorisation des pouvoirs publics, les résidents sommés de
subir cette prise de possession du territoire, la police brillant par son
absence. C’est une victoire retentissante du politiquement correct, pas un seul mot de critique pendant des mois
dans les « grands » journaux de référence, pas de réactions des
autorités. C’est seulement avec la peur des gains politiques possibles de
l’extrême-droite aux élections que soudainement après des mois de silence, le
journal de référence Le Monde est enfin contraint d’informer ses lecteurs. La
philosophe Élisabeth Badinter fut vivement critiquée par la galaxie des
bien-pensants pour avoir constaté que « …malheureusement,
la seule qui parle haut et fort de la laïcité, c'est Marine Lepen ».
L’imprécation de racisme et d'islamophobie, arme suprême de
la gauche compassionnelle
Il n’est presque plus possible de
constater les faits nus sans se faire traiter de raciste. La mésaventure de
Eric Zemmour[17] est toute fraiche dans les esprits. Le philosophe Alain Finkielkraut
affirme d’ailleurs que "l’antiracisme
est devenu au vingt-et-unième siècle ce que le communisme fut au vingtième
siècle, un puissant instrument de sidération des esprits et de castration des
consciences". Ce lent enfermement de la pensée dans l’enclos de ce qui
est autorisé ou interdit par le politiquement correct a été mis en œuvre depuis
les années 70, par la gauche bienpensante. Le cas de la chercheure Michèle
Tribalat est à cet égard très parlant ; bien que directrice de recherche à
l’INED, elle est de facto ostracisée par ses collègues pour son entêtement à
vouloir étudier des problématiques touchant à l’immigration qui risqueraient de
mettre à mal le discours de la gauche officielle. Cette gauche drapée dans
l’humanitaire a réussi ce tour de force de contrôler la parole en invoquant
l’arme suprême de l’accusation de racisme pour qui contesterait la doxa de sa
bienpensance. On aboutit aujourd’hui à cette situation paradoxale
que sous le prétexte de bloquer la diffusion des discours de haine raciale, les
intellectuels de gauche encouragent la mise sous tutelle de la liberté
d’expression. Voltaire doit se retourner dans sa tombe, lui à qui on attribue
cette citation "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me
battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire". Ce bâillon,
c’est ce que la gauche compassionnelle appelle "la parole responsable".
Comment rendre compte de ces
pratiques ;
elles ne sont pas anodines, sous le masque de la défense des droits de l’homme,
de l’inavouable se cache. Trois facteurs éclairent
selon moi cette mutation de la gauche.
1. L’impuissance favorise
la fuite hors du réel
À
ce jour, le capitalisme mondialisé a remporté la lutte des classes. C’est
triste, mais c’est un fait difficilement contestable. Peut-être plus grave pour
la pensée, la fin des régimes socialistes traduit une déroute conceptuelle de
la gauche d’une ampleur inimaginable ; au plan théorique le marxisme,
comme critique du capitalisme garde peut-être encore une certaine validité,
mais comme clé du développement économique, personne n’y croit plus. On peut
regretter une belle théorie fausse, ce n’est pas la fin du monde lorsqu’on doit
la ranger dans le placard des erreurs. Par contre, l’aventure marxiste, qui,
rappelons le, constitua dans ses versions dures ou molles l’espoir affiché de
ce qu’on appelait la gauche, fut plus qu’une simple construction théorique.
Pour les militants comme pour les intellectuels, ce fût un rêve brisé, une
espérance trahie, une religion qui se dérobe. Car contrairement aux heures
sombres du passé, les intellectuels ne peuvent plus se dire à l’instar de
Simone Weil au temps des luttes du front populaire “C'est quelque chose
quand on est misérable et seul que d'avoir pour soi l'histoire[18]”.
La gauche n’a plus de certitude.
On peine à imaginer ce qu’il en a coûté émotionnellement[19]
de voir partir en fumée, ce en quoi on a cru pendant deux ou trois générations
dans certaines familles. De cette tragédie, les héritiers du socialisme,
demeurent inconsolables. Consciente que l’économie est quasiment hors de portée
du politique, que la machine égalitaire est grippée, que la circulation des
élites ne signifie plus rien, la gauche semble incapable de repenser le monde.
Se sachant in petto démunie
intellectuellement et politiquement vis-à-vis du réel, la gauche
compassionnelle a choisi de devenir la conscience malheureuse d’une partie de
l’humanité, je dis bien conscience malheureuse de l’humanité et non pas
conscience de l’humanité malheureuse. Le paradoxe, c’est que les travailleurs
sentent bien que la gauche, par impuissance, ne s’intéresse plus au peuple d’ici et naturellement ils
vont écouter ceux qui leur parlent des vrais problèmes qu’ils vivent au
quotidien, problèmes que la gauche s’interdit de nommer ; « Cachez ce sein que je ne saurais
voir… ».
2.
L’aspiration à la sainteté remplace la lutte de classe
Il y a selon l’écrivain Georges Darien[20],
deux sortes d’intellectuels, ceux
qui aident à tourner la meule qui broie les hommes et leur volonté, et ceux qui
chantent la complainte des écrasés. La gauche compassionnelle, évidemment
chante la complainte des écrasés. Ne pouvant se résoudre à l’horreur
d’une reddition à un capitalisme nu, la gauche compassionnelle a troqué le rêve
d’une société égalitaire pour un territoire de remplacement "les droits-de-l’hommisme", qui est à la défense intelligente
des droits de l’homme, ce que la gloriole est à la gloire, une dérive
moralisante devenue folle. Cette posture particulière a ses sectateurs,
ses principes, ses codes et ses cris de ralliements. Ceux-ci rassemblent les
bienpensants autour d’une vérité sacrée, antérieure à toute expérience et toute
réflexion, exigeant par définition une suspension du regard critique. Selon
Jonathan Haidt[21],
un psychologue de l’université de Virginie, lorsque nos valeurs sacrées sont menacées,
on se transforme en théologiens intuitifs, c’est-à-dire qu’on use de notre
raisonnement non pas pour cerner la vérité, mais pour défendre ce qu’on tient
pour sacré. Le professeur Haidt ajoute que la sacralisation pervertit la
pensée, processus aisément visible pour les observateurs mais invisible pour
les prêtres de ce même sacré. On s’interdit de comprendre, c’est pourquoi Eric Zemmour
et quelque fois Alain Finkielkraut sont cloués au pilori par la bienpensance
pour avoir simplement énoncé des faits connus et vérifiables. Il n’y a plus
dans ce cadre, d’action efficace, faute de réflexion objective. Mais la gauche
compassionnelle n’a pas tout faux. Si la lutte de classe n’est plus le moteur
de l’Histoire, il n’en reste pas moins que cette gauche là pose un verdict
juste, lorsqu’elle détaille les immenses dégâts provoqués par une
mondialisation purement mercantile, qui a fait émerger une super classe
mondiale de possédants. Toutefois, l’alternative qu’elle propose, l’altermondialisation, souffre d’une
tare majeure, le refus de tenir compte que dans le monde économique, ce n’est
pas le désir de justice qui ordonne le cours des choses mais les intérêts.
La gauche compassionnelle, celle qui aspire à la sainteté, n’a toujours pas
compris que le démon du bien a toujours des conséquences inattendues et
dangereuses.
3.
L’antisionisme sert de brevet d’internationalisme
La gauche s’est toujours voulue internationaliste. L’internationalisme
était une preuve de non chauvinisme et d’antiracisme, une nécessité parce que
la solution ultime à l’injustice humaine passait par une pratique qui
transcendait les frontières, "Prolétaires
de tous les pays, unissez-vous[22]". Le parti
communiste et la SFIO avaient chacun son internationale[23], celles-ci sont
aujourd’hui défuntes ou obsolètes, puisque le rêve socialiste ne fait plus
recette. Il faut donc autre chose pour prouver son authenticité de
progressiste, d'internationaliste, d’amoureux de la justice. Ce sera
l’antisionisme que la gauche compassionnelle partage sans réserve avec toutes
les extrêmes droites et les islamo-fascistes. Cette proximité de la gauche
compassionnelle avec ceux qu’elle devrait honnir, cache peut-être une tendance
totalitaire intrinsèque à sa vision du monde. Je ne m’étendrais pas trop sur
son antisionisme viscéral, mais il me paraît difficile à éluder. L’antisionisme[24] de la gauche
compassionnelle s’affiche depuis plus de quatre décennies, d’abord
subrepticement et maintenant ouvertement. Bien sûr, la gauche jure que son
antisionisme n’est pas de l’antisémitisme, mais l’acharnement contre Israël cache
mal la mise en procès perpétuel du juif. Comme chacun peut le constater, toutes
les critiques contre les États dictatoriaux ou génocidaires de notre époque ne
mettent jamais en question la légitimité de leur existence, sauf pour Israël, dont
on peut certes critiquer les politiques vis-à-vis des Palestiniens mais qui
n’est ni dictatorial ni génocidaire, sauf à vider ces termes de toute
signification. Lorsqu’on note froidement les faits et les chiffres comme l’a
fait Joseph Facal, on reste confondu devant la disproportion scandaleuse des
blâmes adressés par la gauche moralisante à Israël, au regard des jugements qu’elle
porte sur de véritables tyrannies. Lorsque le même coupable réapparaît sans
cesse dans les journaux bienpensants comme le Monde Diplomatique, sans analyse
comparative, alors on sort du domaine de l’objectivité pour entrer dans celui
de l’obsession théologique. Cela se comprend assez aisément ; lorsqu’on
aspire à la sainteté, on est nécessairement conduit à avoir une vision binaire
du monde, un monde écartelé entre le Bien et le Mal. Le Bien étant représenté
par une victime sacralisée, le Palestinien, il faut en retour un mal quasiment ontologique ;
ce n’est plus le Capitalisme puisque la gauche a capitulé, ce sera le Sionisme,
présenté au commun des mortels par les intellectuels comme l'abomination ultime
du monde contemporain.
J’ai une certaine tendresse pour la gauche,
celle de ma jeunesse, la gauche alors était inspirante et elle défendait des
idées, même si celles-ci se sont révélées inopérantes. Je cherche toujours une
gauche intelligente où m’abreuver ; mais aujourd’hui la gauche angélique, compassionnelle, redresseuse de torts,
ressemble plutôt au coyote des bandes dessinées américaines, qui continue à
courir dans le vide sans se rendre compte qu’il n’a plus aucune assise. Le prix
à payer, hélas, c’est dans de nombreux pays une dérive vers la droite extrême.
Léon Ouaknine
Novembre 2011
Mars 2017
[1] Quant à la gauche, elle ne peut pas pardonner à
la Russie d’avoir fait naufrager le
grand espoir de socialisme. Sa raison d’être n’en demeurant pas moins vivante,
cette faillite a contribué, en outre, à rendre inopérant
son argumentaire. Et on n’a pas encore trouvé le moyen de le renouveler.
(Marc
Ferro, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales) Le
Monde 15 décembre 2014.
[3]
Selon le mot d’un ancien secrétaire d’État aux transports français, Thierry
Mariani.
[4]
«That liberal immigration policies
“involve the sort of nonnegotiable moral duties that you don’t vote on.”
Christopher Caldwell. Reflections on
the Revolution in Europe: Immigration, Islam, and the West. New
York, Doubleday, 2009
[6] Bernard Teper RES PUBLICA, 29 décembre
2015 La laïcité, enjeu central de la
bataille pour l'hégémonie culturelle
[7] Aujourd’hui, sur onze immigrants venant
en France, dix le sont au titre de la réunion des familles ou comme réfugiés,
c’est-à-dire hors de contrôle du politique et un seul au titre d’immigrant
choisi. (Tribalat, 2010). Les gouvernements du Canada ainsi que du Québec
prétendent que leur immigration est choisie
donc parfaitement contrôlée. Or avec le temps, la même dérive se produit
inévitablement et on assiste à une croissance importante de la proportion
d’immigrants venant au titre de la réunion des familles, échappant ainsi au
contrôle du politique.
[8] Michèle Tribalat, déjà citée.
[9] Celles qui fondent les liens de
solidarité et permettent la vie et le développement ordonné au sein des pays
d’accueil.
[11] Kadhafi, le dictateur Libyen déchu a
déclaré à plusieurs reprises que la vision occidentale des droits de l’homme
était subjective. De même, les pays asiatiques tels la Chine, Singapour, la
Malaisie avancent une conception "asiatique" des droits de l’homme.
Quant aux 57 pays musulmans représentés par l’organisation de la conférence
islamique (OCI), elle a quasiment demandé à L’ONU l’abolition de la liberté
d’expression lorsque la religion était concernée.
[12] Il y a bien entendu des cultures
minoritaires intrinsèques au pays, par exemple, celles des premières nations au
Canada.
[13] Je
fais une distinction entre choc des civilisations et choc des cultures. Les
civilisations au sens que Samuel Huntington lui donne recouvrent de vastes
espaces géographiques et de nombreuses nations. Aucune n’opère partout sous une
même autorité politique. Par contre, s’il existe évidemment des cultures
distinctes au sein de chaque pays, elles doivent toutes se conformer dans leurs
manifestations à la loi unique du pays, sinon c’est la
communautarisation des peuples, dont le Liban nous fournit un triste exemple.
[14] Le
procès intenté contre Charlie-Hebdo au sujet des caricatures danoises, revenait
à limiter fortement le droit fondamental à la liberté d’expression.
[15] Thierry Mariani, secrétaire
d’État aux transports "J'observe que les professionnels de l'antiracisme préfèrent
se constituer partie civile, plutôt que d'assumer un débat public à la loyale
sur les sujets qui préoccupent nos concitoyens, qu'il s'agisse de la
délinquance, du fondamentalisme islamiste, des prières de rue…"
[16] Par exemple, les demandes constantes
de contournement de la loi, en vue de faire financer la construction de
mosquées par les instances publiques, au point que le recteur Dalil Boubakeur
de la grande mosquée de Paris a carrément demandé un moratoire de 10 à 20 ans
de la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État.
[17] Suite à la condamnation de Eric Zemmour, un communiqué
signé par 58 députés UMP du Collectif pour la liberté d'expression déclare : "La
condamnation (avec sursis!) d'Eric Zemmour illustre la dérive judiciaire contre
la liberté d'expression dans notre pays qui interdit à un journaliste de parler
[...]. Dans le même temps, certains rappeurs
qui insultent la France et les Français et appellent au meurtre des forces de
l'ordre ne sont pas condamnés, au nom de la création culturelle. [...] Cette
dérive judicaire qui précède la dérive totalitaire impose désormais la révision
des lois qui la permettent", conclut le communiqué.
[19] Un de mes amis, diplômé de
science-po, dont le père communiste avait lutté contre le franquisme dans les
brigades internationales me disait qu’alors qu’il n’avait que 8 ans, lorsqu’il
apprît de ces parents la mort de Staline, il pleura avec eux. Aujourd’hui, il
ne croit plus dans les vertus du socialisme ni dans les assises théoriques du
marxisme ; mais parce qu’elle contrebalançait selon lui l’hégémonie
impérialiste américaine, il garde de l’URSS une étrange nostalgie et regrette absolument
sa disparition, en dépit de sa nature totalitaire.
[22] Karl Marx et Engels, Manifeste du parti communiste, 1848.
Elle sous-entend que, pour que les communistes gagnent le monde et pour que
leur révolution soit effective, l'unité des prolétaires de tous les pays est
nécessaire.
[23] Les IIIème et IVème
[24] Pour la gauche bienpensante, le juif
est passé du statut exalté de "victime absolue" à celui d’oppresseur
absolu. Comme il est difficile d’afficher publiquement de l’antisémitisme,
Israël devient la nouvelle mise en scène de ce procès perpétuel à l’égard du
juif. Le parallèle entre la volonté d’éradiquer le juif avant la Shoa et le
souhait contemporain d’éradiquer Israël ne m’apparaît pas être une simple
coïncidence.
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