Si tout être humain a un droit automatique au respect, il n'en va pas de même des cultures.
La grandeur d'une culture n'est pas d'être sacralisée, mais d'expurger d'elle-même tout ce porte atteinte à la dignité de l'être humain.
Deux évènements ont défrayé la chronique en février
2012. Au Canada, l’affaire Shafia, ce crime d’honneur qui a vu un immigré
afghan assassiner ses trois filles et sa première épouse, au motif qu’elles
avaient souillées l’honneur de la famille. Denise Bombardier[1],
chroniqueuse au journal Le Devoir, écrivait ‘‘Oui, il existe des cultures arriérées, archaïques, primaires qui font
disparaitre, au propre comme au figuré, les femmes de l'espace public. Des
cultures qui ont inventé les mathématiques, la poésie, l'astronomie, certes,
mais qui n'accèderont jamais à la civilisation telle qu'on la conçoit de nos
jours en perpétuant des traditions d'une ère révolue’’. En France sur un tout autre
registre, l’affaire Claude Guéant, le ministre de l’intérieur qui déclarait récemment "contrairement
à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les
civilisations ne se valent pas... Celles qui défendent l'humanité nous
paraissent plus avancées que celles qui la nient"… "Celles qui défendent
la liberté, l'égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui
acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou
ethnique." Il ne faisait aucun doute que le ministre se
référait à l’islam.
La chroniqueuse
québécoise et le ministre français affirment clairement que ‘‘toutes les cultures et civilisations ne se
valent pas ; certaines sont moralement supérieures’’. La controverse
fait rage des deux cotés de l’Atlantique. Peut-on comparer les civilisations ou
bien faut-il s’interdire tout regard critique au motif que ce serait
stigmatisant pour certains groupes, et qu’au surplus n’importe quel jugement de
valeur est nécessairement culturellement marqué, donc arbitraire, ‘‘Vérité en deçà des Pyrénées, erreur
au-delà’’ disait Pascal. Il n’y aurait aucun point de vue absolu. Si
tout est relatif, alors chaque culture ou civilisation ne peut être jugée qu’au
regard de ses propres règles. Nous ne serions autorisés à n’avoir que des
préférences subjectives. C’est la thèse de la bienpensance. Or cette position
est hypocrite. Personne ne croit sérieusement que ses convictions intimes flottent sur des préférences aléatoires. Dans le cas qui nous concerne, je prétends qu’il existe
des principes universels à l’aune desquels on peut à bon droit déclarer que,
oui, toutes les civilisations ne se
valent pas !
Réglons d’abord rapidement la question de la
distinction entre culture et civilisation. Pour certains, les concepts de
civilisation et de culture décrivent la même chose[2], pour
d’autres le concept de civilisation est plus large. Rappelons que toute
civilisation nait suite à la centralisation de la production par et pour l’entité
politique qui organise son territoire par la force. À ce titre, on peut dire que
la civilisation ne concerne que les peuples sédentaires et qu’il n’existe pas
de civilisation basée sur la cueillette et la chasse, bien qu’il y ait
évidemment des cultures spécifiques de cueilleurs/chasseurs. Lorsque le
processus de sédentarisation est bien enclenché, la civilisation se définit
alors comme « le
processus historique de progrès matériel, social et culturel, ainsi que le
résultat de ce processus, soit un état social considéré comme avancé ». Civiliser consiste donc « à
faire passer une collectivité humaine à un état de plus haut développement
matériel, intellectuel, social[3] ». Toutefois, nous
considèrerons ici à toute fin pratique, les termes civilisation et culture
comme interchangeables, car dans le langage commun, ces termes sont souvent perçus comme équivalents.
sur quels critères juger de l’avancement ou de
l’arrièration d’une civilisation
Nous jugeons continuellement consciemment
ou inconsciemment toutes les réalisations, prises de positions et
manifestations de chaque culture, incluant la nôtre, et ce d’autant plus que
nous sommes continuellement informés de tout, même des détails sordides de
chacun. Notre jugement spontané est fonction de notre sensibilité d’occidental
et rarement de règles universelles. Idéalement, tout le monde s’accordera aisément
pour dire que le critère suprême de jugement sur la valeur intrinsèque et
comparative d’une civilisation devrait être la propension de celle-ci à la
promotion active ‘‘du beau, du vrai, et du bien’’. De tels critères sont
difficiles à formaliser, parce que les diverses doctrines religieuses, philosophiques,
scientifiques et morales divergent quant à leurs définitions de ce qu’est le
beau, le vrai et le bien, et parce que ceux-ci diffèrent selon les époques. En
ce qui touche le beau et le vrai, il y a peu de polémique. Toutes les
civilisations ont produit de grandes œuvres d’art, de grands textes qui ont
inspiré des millions de gens ; le Parthénon est-il plus grandiose que le
Taj Mahal ? L’Iliade plus enivrante que les milles et une nuits ? Impossible
d’y répondre, le sentiment esthétique, s’il obéit à des règles universelles,
est multiforme, multidimensionnel, radicalement rétif à un ordre simpliste. De
plus comment juger lorsqu’on sait que chaque œuvre emprunte immodérément non
seulement au sein de la civilisation qui lui donne le jour mais aux autres
également[4].
Quant au vrai, celui qui relève de la raison et plus
spécifiquement aujourd’hui du jugement scientifique, il reste presque toujours
un radical objet de scandale pour toutes les religions, parce qu’il délégitime
morceau par morceau, les prétentions à la vérité des textes sacrés et des traditions.
On pourrait sans trop exagérer dire que le vrai est aculturel ; bien qu’il ne soit jamais définitivement acquis,
il appartient à toutes les civilisations. Le zéro et l’algèbre arrivent en
occident par les arabes mais ceux-ci les ont emprunté en bonne part aux
indiens.
Il reste le bien. Par orgueil, une civilisation peut se prétendre plus belle,
plus accomplie, plus vertueuse que les autres ; pour elle, le barbare,
c’est celui qui est toujours figé dans la rudesse des premiers siècles, celui
qui n’a pas la même conception du mal
et du bien. De mon point de vue, le critère qui tranche, le seul qui compte vraiment, devrait être formulé sous la forme suivante ''ma
civilisation a-t-elle réduit ou accru les entraves à la dignité de l’être
humain ?''.
C’est ce seul critère qui doit nous guider et nous verrons plus loin qu’il
jouit d’un statut juridique universel, reconnu par la communauté des nations.
dans l’ordre de l’horreur, historiquement toutes
les civilisations se valent
Toutes les civilisations sans
exception se considèrent moralement supérieures ou égales aux autres, car
quelle civilisation oserait se perpétuer en se reconnaissant moralement
inférieure ? Le besoin d’être pur, de laver plus blanc que blanc débouche
inévitablement sur l’amnésie historique et sur la falsification permanente. L’occident
n’est pas la seule civilisation à se proclamer moralement supérieure ;
l’islam ne cesse d’affirmer la sienne sur l’occident. Farhat Othman[5],
ancien diplomate tunisien, par ailleurs fort sympathique, irrité par les propos
du ministre Claude Guéant déclarait le 11 février ‘‘cette civilisation (musulmane) n’a pas été à l’origine de la pire
turpitude humaine que fut l’Holocauste’’. Son affirmation est fondée mais
la décence eut exigé le rappel que
l’État ottoman, un des piliers de la civilisation musulmane fut le premier
génocidaire du XXème siècle, à l’encontre des arméniens. Dans la même veine, Recep Erdogan le premier
ministre turc, faisant la leçon au président israélien Shimon Perez, déclarait
très sérieusement, ‘‘il est impensable
pour un musulman de commettre un génocide’’. Déclaration stupéfiante mais parfaitement compréhensible de la part d’un dirigeant turc, car reconnaître publiquement le génocide de 1915 d'au moins 1.5 millions d’arméniens, serait un suicide politique et même un ticket pour l'assassinat pour n'importe quel Turc. Hitler citait cette amnésie
historique en exemple, pour justifier celui qu’il préparait. Autre immense
horreur de l’histoire, le crime d’esclavagisme fût commun à l’occident et au
monde musulman, chacun ayant acquis et vendu de 10 à 20 millions d’esclaves. Cette
abomination occidentale cessa au 19ème siècle, très tard, trop tard,
mais pour le monde islamique, ce n’est qu’en 1968 que l’Arabie saoudite consentit
finalement à abolir l’esclavage chez elle sur insistance américaine, et en 1981
pour la Mauritanie, bien qu’on estime qu’il y ait toujours dans ce pays
plusieurs milliers d’esclaves noirs, les Haratines[6].
Faut-il rappeler également que le crime de conquête armé de territoires fût
l’un des actes fondateurs de toute civilisation, certainement de l’occident et
de l’islam. L’islam conquit des territoires immenses lors des premiers siècles
à la pointe de l’épée. Les Etats-Unis et le Canada furent fondés sur une
immense spoliation des peuples autochtones amérindiens, de même que l’empire
ottoman naquit de l’annihilation totale de l’empire romain d’orient[7],
vieux de plus de dix siècles, avec la prise de Constantinople en 1453. Hélas, les
violences et les horreurs commises incessamment étant un signe distinctif de chaque
‘‘grande civilisation’’, contrairement à la thèse de Farhat Othman, la
comptabilité des turpitudes n’est manifestement pas la meilleure grille de
lecture, pour déterminer la plus morale des civilisations.
le critère de respect formel des droits de la
personne
Les civilisations pouvaient
il y a encore quelques siècles se considérer comme des cosmos indépendants l’un
de l’autre et échappant de ce fait à tout jugement comparatif. Cet isolement
réciproque ne fut jamais total, pour cause de commerce, de guerre ou de propagande
religieuse (missionnaires), mais suffisant pour que ‘‘l’Autre’’ demeura
longtemps exotique parce que vivant essentiellement de son sol. Aujourd’hui, aucune société ne vit en
autarcie. En fait, on peut affirmer que depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, une civilisation planétaire[8] est en
émergence brutale, accélérée par une mondialisation multiforme. L’information
est instantané, le savoir technique se diffuse quasi immédiatement de même que
les épidémies, les industries se délocalisent, les flux commerciaux confortent
une totale interdépendance des nations dans le cadre d’un seul modèle
économique, la culture hollywoodienne est omniprésente, les tenues
vestimentaires occidentales sont devenues la norme et toutes les élites
mondiales rêvent d’éduquer leurs enfants dans les meilleures écoles
occidentales[9]. Une
poignée d’organisations mondiales, ONU, OMC, Banque mondiale, IMF, OMS, etc. régulent
de manière chaotique quelques dimensions de cette énorme totalité au moyen de
multiples traités internationaux. Et cerise sur le gâteau, à quelques
exceptions près[10], tous
les pays, mêmes les plus dictatoriaux se sentent obligés d’imiter les démocraties
occidentales en organisant des
simulacres d’élections libres, chargés de désigner les gouvernants inamovibles.
Bel hommage du vice à la vertu.
On ne peut plus nier qu’il y
ait sur cette planète un intérêt général de l’Humanité.
Suite aux tragédies occasionnées par les deux guerres mondiales, cette civilisation globale en émergence s’est finalement dotée d’un cadre moral,
distinct des traités classiques régissant le droit international. Ce texte, c’est
la déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), adopté le 10 décembre
1948 à l’ONU, par la communauté des nations. Cette nouvelle Magna Carta du monde, a pour tous les
signataires un effet contraignant, juridiquement au travers de traités
internationaux auxquels toutes les nations sont invitées à se joindre, et moralement
au titre d’énoncé des valeurs fondamentales sur lesquelles la communauté des
nations entend se constituer. Tous les États membres de l’ONU ont ratifiés
au moins un des neufs traités internationaux relatifs aux droits de l’homme et
80% d’entre eux en ont ratifiés quatre ou plus. C’est ainsi que les états
membres de l’ONU sont censés respecter et activement promouvoir les principes
fondamentaux de la DUDH : ‘‘Tous les êtres humains naissent libres et
égaux en dignité et en droits indépendamment du sexe, de la religion, de la
race (ethnicité), des croyances… Chacun dispose de la liberté de penser,
liberté de croyance, liberté d’expression…’’
C’est donc à partir de ces obligations morales et juridiques,
adoptées par l’immense majorité de la communauté des nations[11]
qu’on peut et qu’on doit juger toute civilisation ou culture sur cette planète.
Aucun pays, aucune civilisation n’a le droit de s’y
soustraire. Et pourtant, aujourd’hui comme hier que de crimes contre
l’homme ! Il serait cruel de dresser ici la liste de non respect des
droits les plus élémentaires, dans toutes les civilisations et cultures locales.
Si nous comparions toutefois les
civilisations occidentale et musulmane, à l’aune de la déclaration universelle
des droits de l’homme, le jugement serait sans appel. Je n’en donnerais qu’une
seule preuve, ‘‘L’appel des femmes arabes
pour la dignité et l’égalité’’ signé par : Souhayr
Belhassen, présidente de
la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), tunisienne ; Bochra Belhadj
Hmida, avocate, cofondatrice et ex-présidente de l'Association tunisienne
des femmes démocrates, tunisienne ; Shahinaz Abdel Salam, blogueuse et activiste, égyptienne ; Nawal El Saadawi, médecin psychiatre,
écrivain et féministe historique, égyptienne ; Tahani Rached, réalisatrice, égyptienne ; Samar Yazbek, écrivain, syrienne ; Azza Kamel Maghur, avocate internationale et membre du Conseil
Libyen des Droits de l'Homme, libyenne ; Wassyla Tamzali, féministe et essayiste, algérienne. La pétition, soutenue
par plusieurs millions de signataires, publiée le 8 mars 2012 dans les pages du Monde,
déclarait : ‘‘…Les codes de la famille ne sont dans la plupart des pays arabes que des
textes instituant l'exclusion et la discrimination. Les autres lois que sont le
code de la nationalité, certains codes civils et les lois pénales ne font que
renforcer ces discriminations. Ces lois violent les droits les plus
élémentaires et les libertés fondamentales des femmes et des fillettes par
l'usage de la polygamie, le mariage des mineures, les inégalités en matière de
mariage, de divorce, de tutelle sur les enfants ou encore l'accès à la
propriété et à l'héritage. Certaines lois permettent même à la parentèle
masculine de tuer des femmes et des filles avec le bénéfice de circonstances
atténuantes dans le cadre des crimes d'honneur. Si la majorité des pays arabes
(à l'exception du Soudan, et de la Somalie) a ratifié avec plus ou moins
d'empressement la Convention sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes (Cedaw), adoptée par l'ONU en 1979, ces ratifications sont restées sans impact
réel sur le statut et la condition des femmes….’’
Évidemment, une analyse critique du texte montrerait comment cette indignité
fait aux femmes, se fonde au-delà du patriarcat, sur la conception islamique de
l’être humain, déniant toute véritable dignité à celui-ci, du fait du refus de le reconnaître
comme souverain de lui-même, ce qui pourrait le conduire à vouloir s’émanciper
du Coran. L’égyptien Naguib Mahfouz[12], prix
Nobel de littérature (1988), proféra un jour cette terrible sentence, ‘‘le jour où le musulman deviendra un
véritable individu, l’islam s’écroulera’’ Or, rappelons encore une fois que les pays membres de l’ONU sont officiellement
parties prenantes au texte fondateur sur la dignité imprescriptible de l’être
humain, et qu’ils ne peuvent s’en exempter qu’en dénonçant explicitement la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Comme il est devenu de mauvais
goût de le faire ouvertement, l’OCI (Organisation de la conférence des états
islamiques) qui compte 57 pays membres a décidé de contourner les obligations
de la DUDH en leur collant une interprétation disant exactement l’inverse de ce
qu’ils sont. Ainsi, l’OCI a réussi une quasi mainmise sur la commission des
droits de l’homme de l’ONU et a fait adopter en 2008 et 2010 par cette
commission, des résolutions, heureusement non exécutoires, qui à toute fin
pratique éliminent la liberté d’expression sous prétexte de protéger la liberté de religion. 1984 serait-il de nouveau l'avenir que nous prépare l'islamo-fascisme ? [13]
Que peut-on ajouter à ces faits ? Ils parlent d’eux-mêmes. J’en resterais donc là.
pourquoi l’occident et le monde musulman ont-ils
une vision différente des droits de l’homme ?
Tout comme le monde musulman, l’occident évidemment ne
peut être absous de son passé criminel. Mais c’est quand même la seule
civilisation capable de s’autocritiquer, de se repentir et de se transformer au
point parfois de se haïr rétrospectivement. Pensons au long combat pour libérer
la femme des fers qui l’entravaient et qui même aujourd’hui continuent de faire
obstacle à son émancipation. Pensons au combat pour donner aux diverses
orientations sexuelles une égale légitimité. Pensons à la repentance allemande
vis-à-vis de l’holocauste. Pensons à l’élection de Barak Obama, alors qu’il y a
moins de cinquante ans, les noirs se battaient encore pour l’égalité civique. Autre
exemple moins frappant mais dont la symbolique est forte, dans un pays
majoritairement anglo-protestant, les Etats-Unis, la cour suprême américaine
est composée aujourd’hui de 6 catholiques et de 3 juifs. Aucun représentant du groupe dominant protestant,
aucune réaction outragée des WASP (white anglo-saxon protestant). C’est ahurissant et merveilleux. Peut-on imaginer une
transformation aussi incroyable dans quelque pays musulman que ce soit. Par
exemple, une petite repentance vis-à-vis de leur passé esclavagiste ? Un
regard un peu embarrassé vis-à-vis du statut de sous-être auquel leurs femmes
sont astreintes ? Pourquoi, ce qui est possible douloureusement en
occident est inimaginable en islam ? L’explication comme souvent remonte
aux spécificités des commencements. Toute civilisation ou culture
renvoie à une identité collective qui se forge sous les effets des aléas historiques et géographiques.
Les civilisations ne sont certes pas figées, elles changent dans le temps, mais
leur évolution est subtilement influencée par l’impulsion initiale, le ‘‘big bang’’
qui leur a donné naissance. La constitution de cette identité reste ainsi pour
toujours marquée par les fulgurances de son commencement. Moïse pour les juifs,
Jésus pour les chrétiens, Mahomet pour les musulmans, évènements cataclysmiques
qui proclament que cette identité est absolument unique. Le message messianique
devient l’ADN de la nouvelle civilisation, ADN qui lui dessine non pas une
identité immuable mais assurément une prédisposition pour certaines conceptions
du monde, une weltanschauung à nulle
autre pareille.
Ainsi selon le psychiatre Philippe
Refabert[14], ‘‘Le
monde judéo-chrétien s’est bâti sur une création non achevée, où l’homme
désobéit à Dieu, où l’homme lutte contre Dieu [Israël signifie celui qui a
lutté avec (ou contre) Dieu], d’où la reconnaissance que la contradiction est
inscrite au cœur de l’être, reconnue et jamais éliminée, signe d’une
imperfection native (le péché originel). Mais ce monde imparfait s’accompagne de ce fait d’une
promesse de salut (transformé en progrès par les Lumières), de monde meilleur à
venir, (l’indépendance
de l’homme par rapport à Dieu implique que le concours de l’Homme est
indispensable à l’avènement du mieux)’’. Par contre, pour
le monde islamique la notion de progrès ou monde meilleur est littéralement impie, puisque
la clé du monde parfait (ou spiritualité et monde profane ne font qu’un) est
déjà donnée dans le Coran. En un sens, le monde islamique est une totalité
achevée, comme retenue, fixée au temps du commencement. Ce qui fait dire au
grand connaisseur de l’islam que fut Jacques Berque, ''Ce
que l’Arabe attend du futur, c’est qu’il lui restitue son passé''.
D’un coté le
fardeau de la liberté, de l’autre la parfaite volonté divine.
Aujourd’hui pour la civilisation occidentale, le
critère moral par excellence est la reconnaissance que l’être humain est une fin en soi, et qu’il
lui appartient en tant qu’individu et à personne d’autre, de gouverner[15] sa
propre destinée. Si depuis les Lumières, on accorde à l’entendement raisonné
d’être la clé vers l’avènement du mieux, d’avoir un statut supérieur à celui de
la tradition ou de l’argument d’autorité, il s’ensuit que la culture
majoritaire importe dès lors moins que l’autonomie[16] des individus qui font progresser la réflexion critique.
Pour la civilisation islamique, c’est radicalement
l’inverse depuis toujours, le critère le plus fondamental étant le respect
absolu de leur livre saint le Coran, obligatoire pour la totalité de l’Ouma[17]. Toute
apostasie étant punie de mort, il reste peu de place au doute, à la
contradiction et encore moins à la liberté de l’individu. La notion de l’être
humain comme souverain de lui-même relève dès lors d'un impensé catégorique.
Visiblement, la distance entre ces deux visions du
monde semble infranchissable, parce que respecter le Coran, c’est rejeter
l’idée même de l’autonomie de l’homme (oublions carrément la femme).
Comme on le pressentait, les orientations originelles presque
antinomiques des uns et des autres, portent en germe, la profondeur du
malentendu dans la conception des droits de l’homme entre les nations nées du
monde judéo-helléno-romano-chrétien et le monde islamique.
le rêve des
bienpensants
La soif de tolérance a amené la grande majorité des
intellectuels de gauche à préférer le relativisme culturel en proclamant le ‘‘Tout se vaut’’, dont l’avatar canadien
se nomme multiculturalisme. Le
désir de dialogue va au-delà du respect et prône le métissage des cultures avec
une naïveté désarmante. Qui croirait qu’un esprit aussi perspicace qu’Edgard
Morin écrirait les lignes suivantes dans Le
Monde du 7 février ‘‘Chaque culture a ses vertus, ses vices, ses
savoirs, ses arts de vivre, ses erreurs, ses illusions. Il
est plus important, à l'ère planétaire qui est la nôtre, d'aspirer, dans chaque nation, à intégrer ce que les autres ont de meilleur, et
à chercher la symbiose du meilleur de toutes les
cultures’’. Quel lamentable hachis Parmentier ; je te
donne ma purée, tu me donnes ta viande, le mélange sera délicieux ! Ce qui est terrible avec les bienpensants, c’est cette
inaltérable bonne volonté pétrie d’idiotie. Le rêve naïf d’un dialogue des cultures menant à une meilleure
compréhension et respect réciproque, fut dénoncé en son temps par nul autre que
Claude Lévi-Strauss[18] « Sans
doute nous berçons-nous du rêve que l’égalité et la fraternité règneront un
jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité. Mais si
l’humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules
valeurs qu’elle a su créer dans le passé, capables seulement de donner le jour
à des ouvrages bâtards, à des inventions grossières et puériles, elle devra
réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à
l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus, sinon même leur
négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l’autre,
s’identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la
communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance,
l’originalité de sa et de ma création. ».
Les
bienpensants commettent trois erreurs majeures : La première erreur
est de croire que les cultures en dialogue garantissent la compréhension et le
bon voisinage. C’est fréquemment l’inverse lorsque les divergences sur les
valeurs fondamentales sont irréconciliables. La deuxième erreur, c’est d’ignorer que la culture n’est pas
un construit rationnel, mais un ensemble inextricable d’affects, de croyances
et de comportements inconscients, imperméables habituellement à la raison parce
que la culture est une identité ! La troisième erreur est de croire
que l’on peut vivre sans conflits.
Quelle illusion ! L’état de conflit est indissociable de l’humain[19].
Comment
ne pas voir que la célébration
des différences ne signifie pas leur pleine acceptation, que les conséquences
émergent indépendamment des intentions, comment oublier ce que disait Victor
Hugo, ‘‘La guerre, c’est la guerre des
hommes, la paix, c’est la guerre des idées’’.
Et si on doute encore de la
supériorité morale de l’occident sur l’islam, qu’on m’explique pourquoi durant ses années
d’exil, Khomeiny choisit-il de s’installer en France plutôt qu’au Liban parmi
les chiites ? Pourquoi Saïd Ramadan[20], le
gendre du fondateur des frères musulmans décide-t-il de s’installer en Suisse
et pas au Maroc ou en Mauritanie ? Pourquoi Abou Qatada, aux discours
islamiques incendiaires, présumé bras droit d’Oussama bin Laden en Europe,
invoque-t-il la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour bloquer son extradition d’Angleterre
vers la Jordanie, son pays natal ? Il pourrait aisément décider de s’installer
en Afghanistan. Et surtout, pourquoi des millions et des millions
de musulmans rêvent de venir s’installer en occident ? Est-ce par seul souci
économique ou y a-t-il enfoui sous d’épaisses dénégations, un désir inconscient
de transgression des chaînes coraniques, impensables dans leurs propres
pays ? Étrange
fascination pour l’occident de tous ces contempteurs de l’occident. Claude
Lévi-Strauss, encore lui, déclarait déjà ‘‘Toutes
les civilisations cherchent à imiter l’occident’’.
Je citerais pour conclure cette phrase du philosophe
André Comte-Sponville[21], ‘‘Ne croyez pas que dire ‘Toutes les
civilisations se valent’ ce soit défendre les droits de l’homme. C’est
exactement l’Inverse[22]’’
Léon Ouaknine
11 mars 2012
[3] Alain Gresh, Le monde diplomatique, 8 février 2012.
[4] De mauvaises langues prétendent même que l’œuvre
majeure de Heidegger, Être et Temps, doit
beaucoup à l’influence d’un livre japonais sur la Cérémonie du thé, que son auteur envoya au philosophe en
remerciement des cours philosophiques que lui dispensa le jeune Heidegger.
[5]http://nawaat.org/portail/2012/02/11/oui-monsieur-gueant-les-civilisations-ne-sont-pas-egales-car-elles-sont-inegales-dans-leurs-turpitudes/
[6] Wikipedia, esclavage en Mauritanie
[7] Nous avons ici l’exemple d’un peuple d’Asie central,
les Turcs, vidant complètement le territoire conquis de son antique peuplement
gréco-romain. La Turquie de 70 millions d’habitants ne compte aujourd’hui que
2% de non musulmans. Il est vrai que près de 1,5 millions d’arméniens chrétiens
furent exécutés en 1915.
[8] Nous vivons désormais au sein d’une seule et même
civilisation globale, Vaclav Havel, http://fr.wikipedia.org/wiki/Civilisation_universelle
[9] Apparemment Oussama Bin Laden rêvait également de
faire éduquer ses enfants en occident. Quant au fils du fondateur des frères
musulmans, Saïd Ramadan, il choisit étrangement un pays occidental, la Suisse,
pour établir sa famille et y faire éduquer ses enfants.
[10] Arabie saoudite, autres royaumes arabes et Vatican.
[11] Deux pays en 1948, l’Arabie saoudite et la Malaisie,
refusèrent de signer cette déclaration, au motif qu’elle était contraire aux
valeurs islamiques.
[12] Naguib Mahfouz fut un jour agressé à coup de couteau
par des salafistes, l’accusant d’athéisme.
[13] Georges Orwell,
1984. Le ‘‘doublespeak’’ chargé de faire dire aux mots, autre chose que ce
qu’ils disent, souvent l’inverse de ce qu’ils disent.
[14] Philippe Refabert, psychiatre, psychanalyste, Paris, http://www.cairn.info/revue-outre-terre-2006-4-page-469.htm#no2
[15] Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la
devise des Lumières". Emmanuel Kant,: "Idée d'une histoire universelle d'un point
de vue cosmopolitique. Réponse à la question : qu'est-ce que les Lumières
?" 1784
[16] Nous parlons évidemment ici de droits-liberté et non
de droits-créance. Dans les faits, les contraintes économiques et
idéologiques, les pressions
consuméristes et les diverses influences socioculturelles entravent massivement
l’exercice de la liberté et de l’autonomie.
[17] Communauté des croyants musulmans
[18] Discours prononcé en 2005 à L’UNESCO, lors du 60ème
anniversaire de l’institution. Le discours fit scandale.
[19]Dr Samir Mouny, l’Autre 2002 « Penser l’ennemi »
[20] Hani Ramadan, le petit
fils du fondateur des frères musulmans,
prédicateur dans une mosquée de Genève, justifie la mise à mort par lapidation
de la femme adultère en déclarant que c’est la volonté de Dieu, quant à son
frère, Tarik Ramadan, il demande simplement un moratoire sur la
lapidation, parce que selon lui, la parole de Dieu ne peut être altérée
[21] André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme, introduction à une spiritualité sans Dieu,
Albin Michel, 2006
[22] Discours prononcé le 20 décembre 2003 (Le Point,
février 2012)