Par une étrange coïncidence, le gouvernement du Québec
débat de l'adoption d'une charte des valeurs québécoises au moment même où la
France décide d'afficher dans toutes les écoles de la République sa charte de
la laïcité. En gros les deux chartes réaffirment certains principes
fondamentaux tels qu'on les retrouve dans la déclaration universelle des droits
de l'homme adoptée par l'ONU en 1948. Mais les deux chartes ont plus
précisément pour objectifs de rappeler les conditions assurant le caractère
neutre et laïque des établissements publics, seule garantie d'un vivre-ensemble
ouvert à tous.
Pourquoi ces deux États estiment-ils soudainement
nécessaire et urgent de réaffirmer le caractère laïque de leurs institutions
publiques ? La France comme le Québec sont des pays laïques, l'un formellement,
l'autre de facto. Aucun pays ne s'amuse
à faire de telles choses sans qu'il y ait de bonnes raisons pour y procéder. Le
fait est que depuis plus d'une décennie, non seulement au Québec et en France
mais dans tous les pays occidentaux, la laïcité officielle ou de fait, de
l'espace public est questionnée, attaquée et même sommée de se transformer pour
permettre la résurgence du religieux au cœur des écoles, des hôpitaux et de
toutes les institutions de l'État qui font une nation, au prétexte que nier à
un individu, l'expression visible de ses convictions religieuses, brimerait
principalement les minorités vulnérables.
Cette pression qui ne cesse de croître est portée par des
intellectuels, prétendument progressistes, comme Charles Taylor, des
intellectuels et des courants politiques oublieux des Lumières, assistés des
habituels cancrelats des divers bénitiers religieux et de tous les dévots du
multiculturalisme. Les exemples de ce marquage religieux insidieux ou carrément
agressif du territoire public sont légions dans la majorité des pays européens
et ne cessent de s'imposer au Québec.
Loin d'assurer la paix sociale et la convivialité, ce
processus divise et déchire parce qu'il cherche à transformer un espace commun
en une juxtaposition de communautarismes
et ce pour une raison bien simple. La laïcité crée un territoire neutre là où
elle s'exerce, c'est le lieux commun où chaque personne, adulte ou enfant est
accueillie dans sa dimension universelle et non pas en tant que juive,
chrétienne, musulmane, hindou, animiste ou athée. Or contrairement à la
laïcité, la religion par définition divise, elle sépare clairement le croyant
du non croyant, le croyant du croyant d'une autre foi. Le coran ne dit-il pas d'ailleurs
que le musulman ne doit pas être l'ami du juif ou du chrétien ? Quant aux
autres religions, chacune érige à sa manière de multiples barrières pour
maintenir sa "pureté". La religion divise au nom d'un message
singulier, la laïcité rassemble au nom de l'universel.
Hélas, la plupart des identités ont une composante
d'identité religieuse, heureusement chez les chrétiens et les juifs, à
l'exception de groupes marginaux, le marqueur identitaire religieux n'est plus
le marqueur par excellence, celui qui définit l'individu. Par contre, chez les
musulmans, le marqueur religieux passe de loin avant tous les autres, il passe
avant la nationalité ou même la petite communauté dont l'individu est issu. Cette
forte prégnance du marqueur identitaire religieux, dont les manifestations
doivent être visibles, explique en partie pourquoi beaucoup de musulmans
trouvent inacceptables les règles laïques gouvernant les institutions
publiques. Chez les juifs ultra orthodoxes également, leur identité religieuse
prime tout, mais ils ont résolu le problème en s'excluant délibérément de
toutes les institutions publiques, à l'exception d'évènements civiques rares,
tels que les élections par exemple. Dès lors ils ne réclament pas la
transformation des pratiques laïques des établissements publics. Ils n'accusent
pas généralement ces institutions d'arborer un antisémitisme caché, alors que
nombre de détracteurs des chartes québécoise et française, insidieusement ou
ouvertement laissent entendre que ces chartes sont islamophobes.
Voilà, le mot est lâché ! celui qui exige que le monde
s'ajuste à lui, se présente comme victime alors qu'il est l'agresseur. La
charte des valeurs québécoises, tout comme la charte de la laïcité ne sont pas
islamophobes, elles visent simplement à protéger quelque chose qui fut durement
acquis et qui jusqu'à tout récemment bénéficiait d'un fort consensus. L'accusation d'islamophobie
est devenue grâce à l'armée des bienpensants, l'arme par excellence pour réduire
la seule base qui permette le vivre-ensemble harmonieux de personnes aux
multiples origines et cultures, parce que ce qui est commun à tous, ne peut s'exprimer sans offense ni danger pour
quiconque, que dans un environnement strictement laïque.
Léon Ouaknine
10 novembre 2013